Depuis sa popularisation il y a une vingtaine d’années, nous sommes nombreux à avoir parcouru et apprivoisé Internet, de manière plus ou moins approfondie. Pour beaucoup, le web est devenu un moyen courant de communiquer, s’informer, apprendre, faire des achats et bien d’autres choses. Il existe pourtant une partie du cyberespace que très peu utilisent et connaissent : le darknet (partie sombre du net) et le deepweb (web profond). Ces deux éléments constituent la face cachée d’Internet alors qu’ils abritent 96 % de son contenu [1].
Bien qu’ils soient tous deux difficiles d’accès, le darknet et le deepweb ne désignent pas la même chose [2] :
Puisqu’il n’offre pas l’anonymat, le deepweb n’est donc pas réputé pour abriter des activités secrètes. C’est évidemment sur le darknet que se sont développées toutes sortes de pratiques demandant une certaine discrétion. Ainsi, à ses début dans les années 2000, il est principalement utilisé par les dissidents politiques (notamment chinois, puis plus tard, ceux prenant part au Printemps arabe) pour communiquer sans risquer de se faire remarquer par les autorités nationales [3]. Depuis lors, de nombreuses activités illégales y sont devenues monnaie courante, de la vente d’armes au hacking, en passant par des contrefaçons diverses (argent, art, papiers d’identités, etc.), des fraudes, de la pédopornographie et même le fait de pouvoir engager des tueurs à gages, à en croire la légende [4].
Mais le type de marché le mieux représenté sur le darknet, c’est celui des drogues et des produits chimiques qui servent à leur fabrication [5]. Des marchés qui représenteraient 67 % de tout ce qu’on peut trouver sur le darknet. En Belgique, les substances les plus communément achetées sur ces réseaux sont les stimulants tels que la MDMA et les amphétamines. Viennent ensuite la cocaïne puis le cannabis. Au total, le marché belge des drogues sur le darknet génère 4,7 millions d’euros (un chiffre qui peut fluctuer, puisqu’il est le résultat d’une conversion à partir du Bitcoin, la monnaie virtuelle très fluctuante utilisée pour les transactions sur le darknet), ce qui en fait le 4e marché d’Europe. De manière générale, les personnes qui choisissent d’acheter leurs produits en ligne plutôt que dans le monde physique pensent y trouver des substances de meilleure qualité, ainsi qu’une plus grande sûreté, du fait de l’anonymat et de la possibilité de passer commande depuis le confort de son domicile.
Évidemment, les autorités européennes tentent en permanence de lutter contre ces activités en débusquant leurs sources et en les faisant fermer. Mais les marchés sont résilients : à peine fermés, ils rouvrent sous un autre nom et les vendeurs et acheteurs, habitués à ces manœuvres, suivent le mouvement. Pour être plus efficace, Europol, la police européenne, n’a d’autre choix que de cibler les sources d’approvisionnement des trafics et de renforcer la surveillance policière [6]. Pourtant, le darknet est loin d’être le principal canal de vente de drogues quand on regarde le marché dans son ensemble. En 2012, un rapport des Nations Unies avait établi que la vente de drogues sur Internet générait en moyenne 1,2 milliard de dollars par an, contre 320 milliards de dollars par an pour l’ensemble du marché mondial en dehors d’Internet [7], ce qui représente seulement 0,3 % du trafic mondial. Il semble par ailleurs que la possibilité de se procurer des produits illicites en ligne n’incite pas de nouveaux usagers à se lancer, mais concerne plutôt ceux qui consomment déjà. Il apparait enfin que l’accès aux drogues sur ces réseaux n’en facilite pas l’achat, puisque les monnaies virtuelles telles que le Bitcoin ne sont pas d’usage courant et que ces marchés digitaux desservent principalement des zones géographiques où l’offre physique de ces produits illicites est déjà importante [8]. En bref, le darknet ne fait parler de lui que parce qu’il est obscur et mystérieux pour beaucoup de gens, mais n’a finalement pas rendu la drogue plus accessible dans le monde [9].
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[1] Le deep web est la « batcave d’Internet / Flora Eveno. RTBF, 2015
[2] « Darknet», « Deep Web », « Darkweb » / Solène Limousin. Supinfo, 2017
[3] Le réseau Tor, paradis anonyme pour cyber dissidents. Le Temps, 2013
[4] The Tor dark net / Gareth Owen et Nick Savage. CIGI, 2015
[5] Drugs and the darknet : perspectives for enforcement, research and policy. EMCDDA et Europol, 2017
[6] Europol veut faire le ménage sur le darknet / Ludivine Ponciau. Le Soir, 2017
[7] Rapport mondial sur les drogues. Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 2012
[8] Platform Criminalism – The ‘Last-Mile’ Geography of the Darknet Market Supply Chain / Martin Dittus, Joss Wright et Mark Graham. Université d’Oxford, 2018
[9] Le « darknet » n’a pas rendu la drogue plus accessible dans le monde / Nelly Lesage. Numerama, 2017