Depuis quelques mois, l’hexahydrocannabinol, dit HHC, gagne en popularité et commence à faire son chemin jusque dans les boutiques de CBD. Cette molécule, dérivée du THC et produisant des effets similaires, bénéficie jusqu’à présent d’un vide juridique qui le rend en pratique légal. Ce n’est pas la plante de cannabis qui est illégale, mais bien la molécule qu’elle contient. En synthétisant de nouvelles molécules à partir des existantes, on échappe ainsi, souvent temporairement, aux risques judiciaires que comportent les drogues illégales.
Mais ce processus de fabrication pose des questions, notamment quant à la composition du produit final, et aux risques qu’il peut comporter pour les consommateur·rice·s. Dans une récente interview, le ministre français de la santé a donc indiqué que le HHC serait certainement bientôt interdit. Chez nous, en Belgique, sa vente est déjà restreinte, et interdite dans les boutiques de CBD. Mais comme pour les autres drogues illégales, interdire cette molécule n’aura pas d’effet positif. Selon nous à Infor-Drogues, interdire un produit ne fait que contribuer à la stigmatisation et à la marginalisation des personnes qui les consomment. Une interdiction qui se dispense d’informer le public sur la composition, les effets et les risques potentiels. Et cela pousse bien souvent les consommateur·rice·s vers le marché noir, qui ne se prive jamais de proposer de nouveaux produits.
L’inefficacité de la prohibition des « nouvelles drogues », c’est le sujet qu’aborde notre chargé de communication dans l’article de MediQuality consacré à l’émergence du HHC. Vous pouvez le consulter en cliquant sur ce lien.
Communiqué de presse de la FEDITO BXL, le 03 décembre 2020.
Au regard des chiffres liés au trafic et à la consommation de cannabis, la politique actuelle est un échec sur plusieurs tableaux : la disponibilité de ce produit est plus grande que jamais, à l’image du dynamisme des réseaux criminels et les taux de prévalence de la consommation de cannabis au sein de la population en augmentation depuis 10 ans.
Après l’alcool et le tabac, le cannabis est la drogue la plus consommée en Belgique. Près de 23% de la population belge âgée de 15 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis, soit plus d’1,65 million de personnes ; 7% l’ont fait au cours des 12 derniers mois et 4,3% au cours des 30 derniers jours (Health Interview Survey, Sciensano, 2018). Et si l’on regarde de plus près quelles sont les prévalences auprès des jeunes, on s’aperçoit que la consommation est encore plus importante dans ces groupes : 25% des jeunes de 15-24 ans ont déjà consommé du cannabis et plus de 38% chez les 24-34 ans.
Autant de citoyens consommateurs de cannabis, jeunes ou moins jeunes se retrouvent ainsi en contact avec ce marché noir (qui ne propose pas que du cannabis, par ailleurs) et sans que le moindre contrôle sur les produits consommés ne soit réalisés.
La prohibition du cannabis remonte à la loi du 24 février 1921 qui, encore à ce jour, définit le cadre légal de la politique drogues en Belgique.
Non seulement cette stratégie s’avère impuissante à réduire l’offre ou la demande mais, ce faisant, elle laisse une économie parallèle perdurer et être source de violence, de corruption, de blanchiment d’argent… Du point de vue sanitaire, elle s’avère contre-productive en matière de prévention ou d’offre de soin, le tabou reste de mise. Elle est également inopérante pour limiter l’accès à ce produit (par exemple aux mineurs) et à contrôler sa qualité, alors qu’il est consommé largement au sein de la population et se trouve parfois être frelaté, comporter des résidus de pesticides, de bactéries, de champignons… autrement dit, être sanitairement impropre à la consommation. Enfin, en termes de justice sociale, elle stigmatise et pénalise aussi toute une série de populations, particulièrement celles en situation de précarité (économique, sociale,…) ou issues de l’immigration.
Cela étant, il faut reconnaître que l’État n’est pas pour autant passif : des millions d’euro d’argent public sont dépensés chaque année dans l’appareil répressif et judiciaire, la police, les services des douanes, le système pénitentiaire… mais pour quels résultats?
Les professionnels du secteur drogues sont régulièrement sollicités par des patients qui cherchent à comprendre la complexe législation belge en matière de cannabis et qui sont à la recherche d’un accès à un cannabis légal à des fins thérapeutiques ou en complément du traitement qu’ils reçoivent pour diverses maladies chroniques ou d’autres pathologies.
Bien que la plupart de ces patients répondent aux critères pour accéder à ces traitements dans de nombreux pays (notamment en Allemagne, au Grand-Duché du Luxembourg, au Pays-Bas, en Italie), force est de constater que les patients belges ne sont pas logés à la même enseigne pour apaiser leur douleur ou mieux supporter les effets secondaires de leurs traitements. Pourtant, depuis 2001, la législation autorise l’usage du cannabis à des fins médicales, mais dans un cadre extrêmement restreint qui n’a pratiquement pas évolué depuis lors et qui est très loin de permettre de rencontrer les besoins et attentes de ces patients.
L’appel de ces patients ne peut plus être ignoré. C’est une question d’éthique et de liberté de traitement à laquelle le législateur se doit de donner suite. A défaut d’une filière légale qui peut leur procurer un traitement de qualité contrôlée, ces personnes malades n’ont d’autre choix, aujourd’hui encore, que de se tourner vers le marché noir ou de produire eux-même du cannabis, de manière illicite.
Au-delà de ces constats, la FEDITO BXL asbl analyse dans son rapport différents modèles de régulation du cannabis à travers le monde et propose plusieurs clés pour envisager de sortir de ce paradigme.
Elle propose à l’État de dépénaliser l’usage de cannabis et de créer une filière légale et contrôlée de cannabis. A ses yeux, c’est la seule option réaliste pour qu’il reprenne le contrôle de la situation.
La régulation de l’alcool ou du tabac ne sont pas pour autant des exemples à suivre. Au contraire, l’asbl attire l’attention sur les risques d’un modèle trop libéral dont l’appât du gain risquerait vite de prendre le dessus sur l’impératif de santé publique qui, par ailleurs, est l’élément premier qui motive ces professionnels de la santé à soutenir la régulation du cannabis.
Une régulation dans une perspective non marchande serait une piste à explorer en priorité. Plusieurs travaux académiques menés notamment à l’Université de Gand, par le Prof. Tom Decorte, montrent l’intérêt et la faisabilité d’une régulation reposant sur des Cannabis Social Clubs. L’autoculture à des fins personnelles pourrait également être une piste à exploiter.
Enfin, il est nécessaire d’envisager d’investir davantage qu’aujourd’hui dans le domaine de la promotion de la santé, de la prévention et de la réduction des risques.
Une politique drogues efficace, en termes de santé publique et de justice sociale doit avant tout être une politique équilibrée entre les moyens alloués à la répression du trafic illégal et du blanchiment d’argent et ceux alloués à la promotion de la santé, à la prévention, à la réduction des risques et à une offre de soins adaptée, lorsque cela s’avère nécessaire.
On estime qu’actuellement entre 2% et 3% seulement des budgets en matière de drogues sont investis dans la prévention et la réduction des risques (Socost, Belspo) au profit des autres piliers de la politique drogues. Impossible dans cette situation de mener une politique efficace du point de vue de la santé publique.
Aujourd’hui, le constat de l’inefficacité de la prohibition du cannabis est sans appel, et d’autres voies doivent être explorées.
La rapport publié par la FEDITO BXL :
Communiqué de presse #STOP1921
Bruxelles, 28 janvier 2020 | Face aux enjeux en matière de santé publique et de justice sociale, les acteurs de la société civile se mobilisent dans tout le pays pour remettre en question la politique de prohibition du cannabis. Les mouvements #STOP1921 et SMART on Drugs, déjà soutenus par nombre de personnalités et d’experts, lancent une pétition pour demander au législateur de réguler le marché du cannabis et de définir un cadre légal pour les Cannabis Social Clubs en Belgique.
Aujourd’hui, de plus en plus de citoyens et d’acteurs des mondes associatif, académique, culturel, judiciaire et politique pensent qu’il est nécessaire de sortir le cannabis du champ pénal et d’encadrer sa consommation par une véritable politique de santé publique, axée sur l’information, la prévention, la réduction des risques et le contrôle de qualité.
Cela fait près de 100 ans que la loi belge de 1921 régule les produits psychotropes en criminalisant leurs usages.
Résultat ? Une politique de prohibition du cannabis déconnectée des réalités actuelles qui n’a jamais réduit ni l’offre, ni la consommation. Une politique dont les effets s’avèrent désastreux, notamment en matière de santé publique et d’engorgement du système judiciaire.
Le marché illégal du cannabis engrange, quant à lui, plusieurs dizaines de millions d’euros par an en Belgique (1) et s’articule avec diverses formes de criminalité, allant du trafic d’armes au terrorisme international.
Comme l’étayent diverses études (2) et retours d’expériences en Europe et ailleurs, le modèle des Cannabis Social Clubs constitue une des options de réglementation du cannabis les plus réalistes et prudentes.
L’affaire Trekt Uw Plant
La politique belge en matière de cannabis se base sur une loi qui a 100 ans et qui ne répond plus aux enjeux actuels. L’asbl Trekt Uw Plant, basée à Anvers, gère le plus ancien Cannabis Social Club de Belgique. Depuis 13 ans, elle développe le modèle des Cannabis Social Clubs en toute transparence et cherche à le faire reconnaître auprès des pouvoirs publics.
Le 27 juin 2019, le tribunal correctionnel d’Anvers a rendu un jugement visant à démanteler Trekt Uw Plant, et à condamner certains de ses membres à des peines allant jusqu’à 20 mois de prison avec sursis et des milliers d’euros d’amende. Il met ainsi fin à une grande expérience dans l’organisation d’un modèle essentiel dans le cadre d’une politique en matière de drogues basée sur la santé et la justice sociale. L’asbl a pourtant déjà bénéficié deux fois d’un non-lieu (en 2008 et en 2012) dans le cadre de dossiers semblables. Cette fois encore, Trekt Uw Plant fait appel de ce jugement.
La pétition, lancée par les mouvements #STOP1921 et SMART on Drugs, est déjà soutenue par un grand nombre d’associations, de professionnels de la santé et de citoyens (voir la liste des signataires).
Découvrez le texte de l’appel et les signataires en ligne :
Télécharger le communiqué et le dossier de presse
Télécharger les visuels de promotion
Le mouvement #STOP1921 rassemble à l’heure actuelle plus d’une cinquantaine d’associations actives à Bruxelles, en Wallonie et en Flandre. Il a été lancé à l’initiative de la FEDITO BXL (Fédération Bruxelloise des Institutions pour Toxicomanes), de Bruxelles Laïque et de la Liaison Antiprohibitionniste, dans le but de sensibiliser le législateur et l’opinion publique à la nécessité de remettre en question la politique de prohibition des drogues.
Contact presse francophone : FEDITO BXL (02 514 12 60)
SMART on Drugs est un mouvement citoyen actif en Flandre qui, au même titre que #STOP1921, plaide pour une réforme de la loi belge en matière de drogues.
Contact presse néerlandophone : Steven Debbaut (0476 95 30 88)
(1) Estimation fournie par Eurotox asbl, l’observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles.
(2) Parmi les nombreuses analyses et réflexions menées sur la question de la légalisation du cannabis (cfr. Références dans le dossier de presse), nous nous référons, entre autres, aux travaux menés par T. Decorte (criminologue UGent), P. De Grauwe (économiste KU Leuven), J. Tytgat (toxicologue KU Leuven) intitulés « Cannabis : bis ? Plaidoyer pour une évaluation critique de la politique belge en matière de cannabis », 18/11/2013.
Il suffit de faire une recherche internet avec les mots clés « CBD » et « Glaucome » pour aboutir rapidement sur des sites qui vantent les vertus thérapeutiques du cannabidiol pour traiter cette maladie qui touche le nerf optique. Des résultats trompeurs, puisque des études scientifiques récentes tendent à montrer le contraire. La plupart de ces sites véhiculant ces fausses informations vendent eux-mêmes des produits à base de CBD.
En réalité le CBD seul (c’est-à-dire sans THC ou autres cannabinoïdes, présents en nombre dans le cannabis) peut même aggraver le glaucome en faisant augmenter la pression intra-oculaire. En effet, selon une étude publiée en 2018[1], la tension oculaire répondrait différemment en fonction des cannabinoïdes testés au cours de l’expérimentation, ainsi qu’en fonction des récepteurs sur lesquels ils agissent.
Si le THC seul montre de meilleurs résultats pour apaiser le glaucome (en particulier chez les sujets mâles), il apparait dans plusieurs études que le CBD annule purement et simplement les effets positifs éventuels du THC dès lors qu’ils sont présents en quantité égale. Or, dans le cannabis commun, les deux molécules sont naturellement présentes et s’équilibrent l’une l’autre. Par ailleurs même si le cannabis fait baisser la pression oculaire, il n’a pas beaucoup d’intérêt médical car il provoque également une baisse de la tension artérielle selon les spécialistes. Ses effets bénéfiques s’avèrent également de courte durée. Une prise régulière serait ainsi requise, avec tous les effets négatifs que peuvent entrainer une consommation intensive de cannabis.
Pour rappel, la prescription du Sativex, seul médicament à base de cannabis légalement autorisé en Belgique, n’a pas été approuvée pour cette pathologie, ni chez nous, ni en France. Il ne s’agit donc pas non plus d’une solution pour les patients souffrant de glaucome.
Au Canada, où le cannabis a pourtant été légalisé, la Société canadienne d’ophtalmologie ne soutient pas l’utilisation médicale du cannabis pour le traitement du glaucome[2] « en raison de sa courte durée d’action, de la fréquence des effets secondaires indésirables psychotropes et systémiques autres, et de l’absence de données probantes scientifiques montrant un effet bénéfique sur l’évolution de la maladie. Cela va à l’encontre des autres modalités thérapeutiques médicales, laser et chirurgicales plus efficaces et moins nocives utilisées pour le traitement du glaucome. »
Malgré ces résultats, les sites commerciaux n’hésitent pas à mettre en avant des faits de plus en plus réfutés, au risque de mettre en danger un public qui cherche simplement à améliorer ses conditions de vie. Une pratique malhonnête qui nous pousse plus que jamais à inciter à être prudent et attentif aux sources d’informations consultées en matière de santé.
Sources
[1] Δ9-Tetrahydrocannabinol and Cannabidiol Differentially Regulate Intraocular Pressure / Sally Miller, Laura Daily, Emma Leishman, Heather Bradshaw, Alex Straiker, Investigative Opthalmology & Visual Science, 2018.
[2] Utilisation médicale du cannabis pour le glaucome / Dr Paul Rafuse, Dre Yvonne M Buys, octobre 2018.
Dans l’État de New York, aux États-Unis, la légalisation du cannabis, promise par des représentants démocrates, n’a pas (encore) eu lieu[1]. Pourtant, un progrès notable a pris effet en cette fin d’été, puisque l’avancement de la décriminalisation et la reclassification de certains délits liés au cannabis permet à des dizaines de milliers de New Yorkais de repartir sur une page judiciaire blanche.
Depuis ce mercredi 28 août, les habitants de l’État de New York peuvent en effet faire effacer les condamnations de délits mineurs liés au cannabis (consommation, possession de faibles quantités, etc…). Ce sont ainsi quelque 160 000 personnes[2] qui verront disparaitre ces faits de leurs casiers judiciaires. Mieux encore, 10 872 personnes dans la ville de New York et 13 537 autres dans le reste de l’État n’auront purement et simplement plus aucun casier judiciaire suite à cette mesure. Des chiffres qui pourraient encore augmenter, puisque, selon l’association The Drug Policy Alliance, plus de 867 000 personnes ont été condamnées pour des petits délits liés à la marijuana entre 1990 et 2018.
Les forces de l’ordre devraient ainsi se voir libérer beaucoup de temps. En 2017[3] encore, les arrestations pour consommation en public et possession de jusqu’à environ 60g de cannabis représentaient 94,6% des arrestations liées à la possession dans l’État. Autant de cas qui viennent de devenir de simples infractions, et de personnes qui ne seront plus criminalisées pour ces faits.
La décriminalisation du cannabis a un impact particulièrement positif sur les personnes de couleur. Dans la ville de New York, les afro-américains avaient 8,1 fois plus de chances d’être arrêtés pour possession de drogues que des personnes blanches selon des chiffres de 2017. Les hispaniques étaient quant à eux 5 fois plus susceptibles d’être arrêtés que les blancs. Et ces différences de traitement sont encore plus marquées dans certaines autres villes de l’État. Un biais racial aussi bien connu qu’établi, alors que rien ne suggère pourtant que certaines communautés consomment plus de marijuana que d’autres.
Bien sûr, cette décriminalisation n’est pas parfaite. S’ils ne sont plus des crimes, les faits liés à la consommation et à la possession sont toujours des infractions, ce qui veut dire que les consommateurs risquent toujours entre 50$ et 200$ d’amende en fonction de la quantité trouvée. Toujours est-il que les consommateurs de l’État de New York ne risquent plus de se retrouver en prison et de devoir porter le poids de la stigmatisation. Une avancée qui changera indéniablement de nombreuses vies pour le mieux et qu’on ne peut que souhaiter voir se répandre, aussi bien dans d’autres endroits du monde que pour d’autres substances.
Sources
[1] Marijuana Decriminalization Is Expanded in N.Y., but Full Legalization Fails / Jesse McKinley et
[2] About 160,000 People in New York to See Their Marijuana Convictions Disappear /
[3] Marijuana Enforcement in New York State, 1990-2017 / Erica Bond, Cecilia Low-Weiner, Meredith Patten, Quinn Hood, Olive Lu, Shannon Tomascak et Preeti Chauhan, Data Collaborative for Justice, février 2019.