Les femmes, face cachée de l’usage de drogues
Si à ce jour, les hommes restent les principaux concernés par la consommation de produits psychotropes, les femmes sont tout autant concernées par les usages de drogues légales ou illégales, avec toutes les particularités que cela implique. En cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, penchons-nous sur la façon dont les rôles de genre et la pression sociale affectent les consommations féminines.
C’est un fait, hommes et femmes ne sont pas égaux face à l’usage de drogues. Pendant longtemps, les premiers ont été les principaux consommateurs, tous produits confondus. Mais ces dernières années, force est de constater que l’écart se resserre fortement pour certaines substances comme le tabac, l’alcool et le cannabis. Paradoxalement, la question de la consommation chez les femmes est autant liée à la persistance des stéréotypes et des rôles sociaux traditionnellement attribués à chacun, qu’à la progression de l’égalité des genres.
Pas très féminin
Tout d’abord, il y a ces fameux rôles genrés. Dans la société, on attend des femmes qu’elles soient délicates, prudentes, maternelles, etc. À l’inverse, la spontanéité, les prises de risques et la transgression sont communément des comportements plus valorisés chez les individus de genre masculin. Des caractéristiques qui cadrent mieux avec un usage de psychotropes. Les femmes ont donc intégré socialement que la consommation de drogues illégales, ce n’est pas très féminin et s’en sont longtemps détourné. Elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à s’y mettre, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, le public féminin a été particulièrement visé dans les campagnes marketing pour le tabac dans les années 50. La cigarette était alors présentée comme un symbole d’émancipation et d’élégance. Aujourd’hui pourtant les femmes sont moins nombreuses à arrêter de fumer que les hommes, car elles réagissent moins bien aux différentes actions visant à dénormaliser le tabac. Un schéma qui tend à se répéter, puisque ce sont cette fois les industriels de l’alcool qui visent particulièrement la gent féminine en leur proposant des boissons sur mesure. Car après tout, pourquoi se priver du pouvoir d’achat de la moitié des personnes sur terre ?
Néanmoins, le constat inverse peut être fait. En effet dans les pays plus avancés en matière d’égalité des sexes, la consommation des deux populations tend à converger. L’écart est aussi moins important chez les jeunes et les personnes ayant un niveau d’éducation plus élevé. Les modes de vie des femmes et des hommes s’uniformisent, leurs consommations aussi. Pour certaines, le fait d’avoir un comportement typiquement masculin, par exemple en étant capable de « boire comme un homme », est une caractéristique valorisante, même si cela conduit à une surconsommation.
Au four et au moulin
L’évolution du rôle des femmes dans la société a par ailleurs entrainé l’émergence d’un comportement qui leur est plus particulier, celui de la prise de médicaments psychotropes. Car si les femmes accèdent (doucement) à de plus en plus de postes à responsabilités, elles ne sont pas moins dispensées de leur rôle premier. Beaucoup doivent ainsi assurer des doubles journées, une au bureau et une à la maison. Un rythme difficile à tenir. En dehors des classiques alcools, cafés, cannabis, beaucoup ont donc recours à des somnifères, antidépresseurs, des benzodiazépines, médicaments à base d’opiacés et autres, qu’elles se procurent aussi bien légalement qu’illégalement, tantôt pour rester au meilleur niveau, tantôt pour arriver à se détendre. Des produits qui sont loin d’être anodins, et qui peuvent rapidement devenir indispensables au fonctionnement des usagères.
Le « succès » des médicaments auprès du public féminin tient sans doute en partie à son aspect plus propret, moins dangereux, car plus légitime médicalement. Une consommation qui peut bien souvent être légale, et pas trop mal vue, pourvu que cela permette aux femmes de continuer à entretenir le double rôle que la société continue de vouloir leur imposer. Par ailleurs, leur santé étant plus souvent abordée sous l’angle de la psychologie plutôt que de la douleur physique, elles sont plus naturellement renvoyées vers les produits qui sont classiquement attachés à la santé mentale.
Un public moins visible, donc moins protégé
Bien qu’elles constituent une part grandissante des consommateurs, les femmes restent un public particulièrement invisible dans l’information, la prévention et l’accompagnement liés à la consommation. Une absence qui peut s’expliquer par le fait qu’en plus des risques sociaux, médicaux et pénaux auxquels s’exposent la plupart de consommateurs, les femmes qui consomment des drogues illégales rompent également les normes de genre auxquelles elles sont tenues.
Ayant intégré les injonctions sociales citées plus haut, nombreuse sont celles qui ressentent de la honte ou de la culpabilité et craignent d’être mal reçues par les structures d’aide. La grossesse et la maternité semble être dans ce cas un facteur déterminant. Les usagères auront largement tendance à ne pas parler de leur consommation au docteur qui les suit pendant leur grossesse. Par la suite, c’est l’idée qu’elles soient perçues comme incompétentes et qu’on puisse leur retirer leurs enfants qui les retient. Des peurs qui peuvent s’avérer fondée, puisqu’il n’est pas rare que ces femmes subissent les mauvais traitements de certaines institutions comme la police, la justice ou même du corps médical. Des expériences qui ne les encouragent pas à briser le silence.
Cet éloignement des services de soin est pourtant lourd de conséquences : le risque de transmission d’infections sexuellement transmissibles et de grossesses non désirées peut être augmenter par certains modes de consommation, avec des effets potentiellement dramatiques sur la santé, en particulier gynécologique, des consommatrices ; En France on constate chez les femmes prises en charge par des centres d’accompagnement un risque de décès 18.5 fois supérieur à celui des autres femmes. Chez les hommes usagers le risque n’est « que » 5.6 fois plus élevé ; les causes de décès des consommatrices sont plus souvent liées à la maladie (cancer, problèmes digestifs) qu’à la toxicologie (overdose, accidents). Sur le plan social, les femmes s’exposent par ailleurs plus fréquemment à des situations de dépendances affectives ou financières d’un partenaire. Une situation précaire qui les met plus à risque de subir des violences physiques et mentales.
La consommation, comme tous les autres aspects liés au progrès de l’égalité des genres, n’est donc pas simplement l’affaire des femmes. Ces questions doivent impliquer chacun, tant sur le plan de l’éducation, que de la vie affective, que de la prévention et de l’accompagnement. En cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, il semble plus que jamais important de plaider pour la fin des rôles de genre et des attentes qui y sont liés, ainsi que du jugement sociétal qui pèse sur les femmes et les minorités de genre en général et les usagères en particulier, afin qu’elles n’aient plus jamais peur de chercher de l’aide quand elles estiment en avoir besoin.
Sources
Tableau de bord de l’usage de drogues et ses conséquences sociosanitaires en Région de Bruxelles-Capitale, p.56-59/ Clémentine Stévenot et Michaël Hogge, Eurotox asbl, 2019.
Usages de drogues et conséquences : quelles spécificités féminines / François Beck, Ivana Obradovic, Christophe Palle, Anne-Claire Brisacier, Agnès Cadet-Taïrou, Cristina Díaz-Gómez, Aurélie Lermenier-Jeannet, Caroline Protais, Jean-Baptiste Richard, Stanislas Spilka. Tendances n° 117, OFDT, 2017.
Médicaments, alcool, drogues : ces femmes actives qui se dopent pour tenir / Morgane Miel, Le Figaro, 2017.