De nombreux articles de presse évoquent, de manière souvent dramatique, l’apparition de cette drogue en Russie ainsi que sa rapide expansion en Europe.
Selon certaines sources d’informations, ce produit serait même « aux portes de la Belgique ». Qu’en est-il selon Infor-Drogues ?
Le moins que l’on puisse dire est que la composition du ‘Krokodil’ varie. Selon les sources que nous avons pu consulter dans la presse et sur internet, cette drogue serait composée de codéine (substance assez facile à trouver en Russie car il s’agit d’un médicament vendu librement sans ordonnance), de solvants volatils (sans autre précision ou alors ‘diluant de peinture’) et d’essence. Parfois la presse évoque la présence de phosphore (le bout rouge des allumettes) et/ou d’héroïne. Il semble que la fabrication de ce produit est très artisanale et donc fort variable soit d’une région à l’autre soit d’un moment à l’autre.
Ce mélange peut donc ne comprendre aucune substance illégale.
Cette drogue serait vendue comme de l’héroïne ou comme substitut de l’héroïne beaucoup moins cher. Il semble que les effets de ce produit soient plus forts et moins longs que ceux de l’héroïne. Ce type d’effets incite les consommateurs à une utilisation plus fréquente. En terme de toxicité, la presse évoque des abcès, des gangrènes et une durée de vie des consommateurs réduite à quelques années. La presse évoque également les conditions de vie très dures de ces consommateurs qui sont parmi le plus pauvres des provinces orientales (Sibérie) de la fédération de Russie….
Plusieurs articles évoquent le fait que ce produit serait « aux portes de la Belgique » en Allemagne. Toujours est-il que l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies n’a pas, à notre connaissance, lancé d’alerte concernant ce produit. Des quelques cas signalés en Allemagne, l’observatoire allemand n’a pu apporter aucune confirmation qu’il s’agissait bel et bien de « Krokodil ». En Belgique, ni Eurotox (l’Observatoire de la Belgique francophone), ni Infor-Drogues, ni aucune autre autorité en la matière (police, douane, etc.), n’a confirmé la présence de ce produit dans notre pays.
Rien ne confirme donc que ce produit serait présent dans l’Union Européenne et a fortiori en Belgique. Rien n’indique non plus que des Belges deviendraient consommateurs d’un produit à ce point toxique. En effet, il convient de ne pas oublier que l’environnement est très différent, notamment en terme de pauvreté et de santé publique, entre la Russie et la Belgique. Outre sa disponibilité, ce sont les conditions de vie qui existent là-bas qui expliquent en grande partie la consommation de ce produit.
Lettre ouverte à Monsieur Étienne Schouppe, Secrétaire d’État à la Mobilité, publiée dans le journal Le Soir du 11 mai 2011 :
Monsieur le Secrétaire d’État, vous organisez ce 11 mai les États-Généraux de la Sécurité Routière. Il nous a paru important de partager avec vous la perplexité qui est la nôtre par rapport au risque de discrimination véhiculé par la législation relative au dépistage des drogues au volant.
La lutte contre la discrimination est un objectif primordial de nos sociétés démocratiques. Cette lutte, le gouvernement fédéral en a fait une de ses priorités. C’est pourquoi nous nous étonnons qu’en ce qui concerne la sécurité routière, il semble que cette priorité ne soit pas de mise. En effet, comment comprendre que, selon la récente loi sur la drogue au volant mettant en œuvre les « crache-tests », les conducteurs ayant consommé de l’alcool bénéficient d’un traitement beaucoup plus favorable que les conducteurs ayant consommé d’autres psychotropes ? Il nous semble que la sécurité routière ne justifie en rien cette différence.
Cette législation, entrée en vigueur au 1er octobre 2010, prévoit que la police est chargée d’effectuer un test salivaire lorsqu’elle constate chez un conducteur des signes d’usages récents de drogues. Le test peut détecter cinq drogues différentes : cannabis, amphétamine, ecstasy, cocaïne et opiacés (morphine, héroïne). La présence du produit peut être repérée plusieurs jours après la consommation c’est-à-dire alors même qu’il ne produit plus d’effets depuis longtemps. En quoi s’agit-il d’une mesure de sécurité routière ? Que diraient les citoyens s’ils pouvaient être sanctionnés pour une consommation de bière trois jours auparavant ?
Or, Monsieur le Secrétaire d’Etat, bien que la conduite sous l’influence de l’alcool se révèle des plus dangereuses, elle est beaucoup moins sanctionnée que la conduite sous l’influence d’autres psychotropes. Ainsi, conduire avec un taux d’alcool dans le sang inférieur à 0,5 grammes est légal. A partir de ce taux et jusqu’à 0.8 g, la sanction prévue est une amende de 137,5 à 2.750 euros. Ce n’est qu’à partir de 0,8 grammes que le conducteur est passible d’une amende identique à la consommation d’autres psychotropes soit entre 1.100 et 11.000 euros. Une telle discrimination est non seulement injuste mais elle est aussi dangereuse. En effet, elle peut favoriser la consommation d’alcool alors même qu’il s’agit du produit entraînant le plus de problèmes au volant.
Vous le savez, en matière de sécurité routière, l’alcool est la principale cause d’accidents. A 0,5 grammes par litre de sang, (c’est-à-dire +/- 2,5 verres pour un homme et 1,5 verre pour une femme) le risque d’accident mortel serait multiplié par deux. A 0,8 grammes par litre de sang, le risque d’accident mortel serait quadruplé. Une consommation d’alcool, même en deçà du taux de 0,5 g/l, constitue un sur-risque d’accidents. Ce sur-risque « légal » serait même, selon une étude de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (O.F.D.T.) , supérieur au sur-risque moyen des conducteurs ayant consommé du cannabis. Cette étude tend également à démontrer que l’alcool est, de loin, plus dangereux que tous les produits repérés par les tests salivaires.
Nous ne vous demandons surtout pas, Monsieur le Secrétaire d’État, une « tolérance zéro » envers l’alcool. Comme le montre notre exemple cité plus haut, ce type de politique ne nous semble pas légitime en ce qui concerne la sécurité routière. Nous demandons par contre que la réglementation s’appuie sur des taux pertinents pour l’ensemble des produits psychotropes – en ce compris les médicaments psychotropes ( qui ne sont pas mentionnés dans cette loi et dont la dangerosité au volant n’est pas des moindres ). Qu’elle harmonise les sanctions applicables aux conducteurs sous l’influence de psychotropes, légaux comme illégaux.
Nous voudrions également attirer votre attention sur la nécessité, en matière de sécurité routière, de penser la prévention des accidents de façon plus diversifiée. Bien entendu, il est important d’informer quant aux dangers de la vitesse et de la conduite sous influence. Bien sûr, il faut sanctionner les transgressions. Mais informer et punir ne sont pas suffisants pour prévenir. A cet égard, n’est-il pas urgent de remette en question la place démesurée de la publicité pour l’alcool (bières, vins et spiritueux) ? Par ailleurs, la sécurité routière est également liée à l’expérience des conducteurs. C’est cette expérience qu’il faut promouvoir et cela dès l’apprentissage. Dans ce cadre, pourquoi ne pas offrir un stage de conduite défensive à tout nouveau détenteur de permis ?
Plus largement, n’y aurait-il pas également une réflexion à mener quant à la valorisation du risque par notre société contemporaine. Les « gagneurs » d’aujourd’hui sont ceux qui « osent » prendre des risques. Les sportifs professionnels prennent des risques inouïs avec leur santé pour réussir. La sécurité routière ne devrait-elle pas chercher à « dé-normaliser » cette apologie de l’audace et du risque ?
Monsieur le Secrétaire d’État, comme vous l’aurez compris, nous ne sommes pas partisans d’un laisser-faire généralisé où tout le monde pourrait, à sa guise, conduire comme il lui plaît, indépendamment des dangers pour autrui. En aucun cas. Nous travaillons au quotidien à la responsabilisation de chacun dans une société respectueuse des devoirs et des droits de tous. Nous sommes préoccupés de citoyenneté, de justice et d’équité. Y compris en matière de sécurité routière. Nous souhaitons que dans ce domaine, comme dans d’autres, les discriminations injustifiées cessent d’exister.
Nous ne doutons pas que vous soyez sensible à cette préoccupation.
Infor-Drogues asbl
Co-signataires : Prospective Jeunesse asbl, Addictions asbl, Centre médical Enaden asbl, Maison d’Accueil Socio-Sanitaire (MASS) de Bruxelles, Interstices – CHU St-Pierre, Univers santé asbl, DUNE asbl (Dépannage d’Urgence de Nuit et Echange), Lama asbl membre de la Fedito bruxelloise, Babel, Ambulatoire du Solbosch asbl
Depuis début mars 2011, la presse parle beaucoup du futur appareil d’échange automatique de seringues qui sera installé à Bruxelles (St-Gilles) par l’asbl DUNE (Dispositif d’Urgence de Nuit et Échange). Cet appareil fournira du matériel d’injection stérile (seringues, cuillères, eau, désinfectant) et des conseils de prévention en échange de seringue(s) usagée(s).
L’échange de seringues est un dispositif de santé publique qui a largement fait ses preuves en Belgique comme à l’étranger. Il évite la transmission de maladies comme le sida et les hépatites, aide à la réinsertion, permet un contact avec des professionnels de la santé et, enfin, contribue à la récolte des seringues usagées.
Un appareil automatique est utile pour les injecteurs qui ne viennent pas échanger leurs seringues aux comptoirs existants. Pour Infor-Drogues, il est clair qu’un dispositif automatique ne peut en aucun cas remplacer un dispositif humain. L’échangeur doit donc être envisagé comme un complément destiné à une population précise. Une étude doit être réalisée préalablement à chaque placement d’un tel automate. En effet, il convient d’éviter que les comptoirs d’échange de seringue ne soient progressivement délaissés au profit de machines ayant des horaires plus souples.
La Belgique devra donc être très attentive à ce point lors de l’évaluation de cette expérience pilote.
Outox, la boisson « miracle » qui réduirait le taux d’alcool dans le sang et la gueule de bois après son ingestion qui fait son apparition à travers un large buzz bien orchestré par la marque sur le net et dans nos médias (et ce n’est pas le fruit du hasard) s’apparente tout-à-fait à de la poudre de Perlimpinpin.
Il n’existe aucune preuve scientifique qui soutiendrait l’efficacité de cette potion magique. Bien au contraire ! Le Crioc a fait l’état des lieux quant aux recherches scientifiques existantes sur le produit : « Une étude scientifique menée par l’Institut de Médecine Légale de l’Université d’innsbruck en Autriche conclut que Outox n’augmente pas le taux d’élimination de l’alcool absorbé (Outox does not increase the alcohol elimination rate) mais permettrait uniquement une absorption gastrique plus lente de l’alcool (selon le profil des individus) et que l’allégation de santé associée au produit ne peut être prouvée du point de vue scientifique. Bref, un grand coup de bluff pour pas grand chose. » Cela signifie donc que l’alcool sera bel et bien absorbé dans le sang. Il en est de même quant à l’élimination de l’éthanol : à titre de comparaison, là où il faudrait une heure pour éliminer un drink, il en faudrait 55 minutes grâce au fameux produit « miracle ». Pas de quoi pavoiser donc !
Ce qui est sûr, cependant, c’est que la promotion de ce produit contribue une nouvelle fois à une évolution regrettable, à savoir l’incitation à boire, la banalisation de comportements extrêmes en matière de consommation d’alcool et des risques qui en découlent. En effet, « Faire chuter le taux d’alcool dans le sang » n’est utile que pour ceux qui ont bu des quantités importantes. Cette promesse incite à boire plus d’alcool que raisonnable…
Une fois de plus, c’est bien beau que le monde adulte (en général) se plaigne de la consommation d’alcool des jeunes mais à travers ce nouvel exemple de dérapage commercial, ce sont aussi les adultes qui inondent les jeunes de publicités et maintenant de boissons pour, soit disant, atténuer les effets de l’alcool. L’incohérence des messages envoyés aux jeunes est à nouveau flagrante.
Il est maintenant urgent que l’industrie se responsabilise plutôt que de s’enrichir sur le dos des consommateurs et se taire dans toutes les langues quand ces derniers sont accablés pour leurs « dérives ». Les publicitaires et les alcooliers sont les rois pour trouver le slogan ambigu qui ne pourra pas être attaqué par leur propre code de bonne conduite (seule l’autorégulation existe en Belgique) mais qui sera malgré tout bel et bien interprété comme une incitation à boire de l’alcool.
Cette pratique consiste bien plus à se faire de l’argent sur le dos de consommateurs crédules que de participer à réduire les risques d’une consommation abusive. Il n’existe pas de vigilance et de bon sens en canette. Seules les mesures de prévention et de promotion de la santé peuvent contribuer concrètement à la réduction des risques et à la responsabilisation des consommateurs.
A nouveau, ce dérapage met en évidence toutes les limites de l’autocontrôle des pratiques commerciales en Belgique. Il est temps de réagir ! Les associations qui forment « Jeunes, Alcool & Société » demandent l’interdiction de la publicité pour l’alcool. De plus, notre pays doit se doter d’un organe public, transparent et au pouvoir réellement contraignant pour observer, contrôler et sanctionner les pratiques commerciales et publicitaires douteuses, quel que soit le produit.
Le Groupe porteur « Jeunes, alcool et société » : Univers-Santé, Infor-Drogues, Latitude Jeunes, Fédération des Etudiant(e)s Francophone, Jeunesse et Santé, la ligue des Familles, Prospective Jeunesse, R.A.P.I.D., la Fédération des centres de jeunes en milieu populaire.
www.jeunesetalcool.be