Archive de l’étiquette femmes

Le GHB, une drogue pour violer ? Allons plus loin.

Drogue GHB agressions

En tant qu’institution spécialisée dans les questions de consommation de produits psychotropes, une de nos missions principales est de fournir de l’information à ce sujet. Dans ce cadre, nous répondons régulièrement aux médias afin d’apporter au public une information plus pertinente par rapport à un discours très souvent centré sur les produits, qui se soucie bien trop peu du contexte qui les entoure. Alors que nous nous efforçons d’offrir une alternative aux idées reçues et aux traitements de surface de ces sujets, nous constatons encore trop souvent que la contextualisation que nous offrons est complètement laissée de côté.

Dernier sujet en date, les questions autour des agressions sexuelles et du GHB ne font pas exception. Ainsi, il nous semblait important de compléter le discours centré sur le produit par des précisions essentielles. Dans ce genre de situation, le problème central n’est pas le produit employé, mais bien l’agression sexuelle en elle-même. Des agressions qui n’ont pas lieu que dans des ruelles sombres ou des bars louches comme beaucoup se le représentent.

Les violences sexuelles sont présentes dans toute la société car elles sont une conséquence, certes extrême mais pas moins réelle, d’une société où les femmes et les minorités de genre restent perçues comme inférieures aux hommes. Dans trop d’endroits et de représentations, véhiculés notamment par la publicité, la femme reste un objet à leurs yeux. Cette culture s’exprime également dans les médias quand des sujets comme celui des violences sexuelles et de la drogue font la une de l’actualité. Seules les substances utilisées, comme l’alcool ou le GHB, sont mises en lumière, comme si elles étaient détachées de l’agresseur qui en profite. La légitimité des victimes est quasi systématiquement remise en cause. Le système, lui, n’est jamais remis en question. Les représentations valorisant une forme agressive de masculinité, véhiculées entre autres par les médias, contribuent à maintenir les femmes et les minorités de genre dans une position inférieure, avec des conséquences allant de l’écart salarial jusqu’au viol ou au féminicide.

Bien avant le GHB, ce qui permet les agressions dont on parle actuellement, c’est avant tout le patriarcat en tant que système et la culture du viol comme symptôme. Cela donne une société où la parole de victimes est mise en doute, où les agressions sexuelles sont excusées ou valorisées, où les agresseurs subissent rarement les conséquences de leurs actes, où les victimes n’osent que rarement porter plainte ou même parler de ce qu’iels ont vécu. Que l’agresseur soit un inconnu, un barman, un ami, un compagnon ou n’importe qui d’autre, et peu importe l’endroit, ce sont les mécanismes d’une société où les violences faites aux femmes et minorités de genre sont encore tellement ancrées qui doivent changer radicalement.

Bien sûr, une ingestion involontaire et malveillante de GHB est une expérience horrible, et encore bien plus si elle mène à subir une agression sexuelle. Jamais cela ne doit être remis en question. Cependant, les agressions sexuelles et autres situations de mise en danger se produisent qu’il y ait ou non GHB. Ces actes d’une violence extrême peuvent être commis dans un contexte de consommation de n’importe quelle drogue, légale ou illégale, ou sans aucun produit. Une personne peut subir une agression sexuelle après avoir ingéré du GHB, des somnifères, de l’alcool, des pâtisseries, de l’eau, etc. et ça ne sera jamais la faute de cette personne. Cela ne devrait même jamais se produire. Un agresseur peut passer à l’acte après avoir consommé de l’eau, de l’alcool, du thé, du cannabis, du chocolat, du GHB[1], etc. et ça sera toujours sa faute à lui.

Mais ces représentations sont encore bien trop présentes et font croire qu’il existe un « bon » type de victime, et un « bon » type d’assaillant. La faute à une culture qui fait croire aux agresseurs que les autres, les femmes en particulier, sont leur propriété, qu’ils peuvent s’en saisir et en faire ce qu’ils veulent sans se poser de questions et, dans l’immense majorité des cas[2], sans risquer aucune conséquence judiciaire ou sociale. Une culture rétrograde que certains imaginent tellement immuable que ce sont aux victimes d’organiser leurs vies pour s’y adapter. De ne pas laisser leurs verres sans surveillance, ne pas sortir seules, ne pas aller dans des bars, ne pas boire un verre, avoir peur de demander l’aide d’un employé, ne pas porter certains vêtements, ne pas oser aller voir la police, ne pas se promener dans la rue, ne pas répondre, ne pas ignorer, ne pas parler, ne pas inviter de gens chez soi, ne pas être chez soi avec un compagnon ou un ami. Ne pas vivre.

Alors ne nous y trompons pas. Créer des espaces plus sûrs, informer sur les moyens de reconnaitre une boisson altérée, apprendre à réagir quand on est témoin d’une agression ou comment aider une personne potentiellement en danger, c’est bien. Mais le problème ne sera réellement pris en charge que quand notre culture cessera enfin de considérer la femme et tout autre personne qui n’est pas un homme comme inférieures. Pour cela le système doit être changé. Un premier pas nécessaire est de faire en sorte que les victimes soient entendues et crues, et que les agresseurs subissent enfin les conséquences de leurs actes, jugés à la hauteur de leur atrocité.

 

[1] Correctement dosé et sans mélange avec l’alcool, le GHB peut avoir des effets désinhibants similaire à celui-ci. Contrairement à la façon donc il est généralement perçu, il peut être utiliser volontairement à des fins récréatives et ne provoque pas systématiquement somnolence et trous noirs.

[2] En Belgique, 75 000 faits de violences sexuelles sont commis tous les ans. Seuls 8000 de ces faits sont déclarés aux autorités et 900 aboutissent à une condamnation. En tout, seules 1,2% des violences sexuelles commises sont punies.
Source : Plainte, preuves, procès: que faire en tant que victime d’une agression sexuelle? Fanny Declercq et Laurence Wauters, Le Soir, 22 octobre 2021.

ParInfor Drogues & Addictions

[TV Infor-Drogues] Entretien avec Gabrielle Vandepoortaele sur le bodybuilding

Entretien bodybuilding Gabrielle VandepoortaeleBodybuildeuses, dopage et patriarcat : l’émancipation des femmes des classes populaires à travers la performance physique.

Dans notre société moderne occidentale, les corps sont scrutés, analysés et policés sans arrêt. Pas étonnant dès lors que certains poussent cette logique le plus loin possible, en s’imposant pendant des mois et des années une discipline sportive et alimentaire extrême afin d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Dans cette discipline masculine au possible, certaines femmes cumulent travail, charge du foyer et des dizaines d’heures de sport chaque semaine, faisant inconsciemment un pas vers l’émancipation des rôles de genres. Une chose pousse ces femmes à soumettre leur vie à cette exigence physique extrême : le besoin d’être vues, reconnues et valorisées.

Nous recevons Gabrielle Vandepoortaele, anthropologue sur les questions de genre et de dopage, et membre du laboratoire d’anthropologie prospective de l’UCL, pour explorer les mécanismes par lesquels le bodybuilding et le dopage qui peut en découler contribuent à la libération des femmes des classes populaires qui le pratiquent.

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ParInfor Drogues & Addictions

Proposition de loi sur la protection prénatale : un incroyable retour en arrière

Protection prénatale - GrossesseUne proposition de loi portant sur le bien-être des enfants à naître a récemment été déposée au Parlement fédéral par Valérie Van Peel (N-VA) et John Crombez (SP.a). Dans les grandes lignes, son objectif est de protéger le fœtus des effets de la consommation de drogues de la part de la femme enceinte. L’intention semblerait bonne si elle n’était pas basée sur le fait d’imposer des décisions aux parents si on estime que leur comportement est dangereux pour l’enfant. Une fois encore, ce sont les consommateurs de drogues, légales et illégales, qui sont directement visés, renforçant encore un peu plus la marginalisation et la stigmatisation que leur usage subit déjà. Une proposition paternaliste et régressive qui pourrait avoir des conséquences néfastes aussi bien sur ceux que l’autorité veut contrôler, que sur ceux qu’elle vise à protéger.

Mise sous tutelle, enfermement, sevrage imposé et césariennes forcées, voilà le sort qui pourrait être réservé à ceux et celles qui, selon la justice, ne mettent pas au premier plan l’intérêt de leur futur enfant. Une notion particulièrement vague, puisque l’intérêt de l’enfant n’a été clairement défini nulle part dans cette proposition. Qu’est-ce qui empêcherait donc de dire que le mieux pour un bébé est de grandir dans une maison quatre façades et pas en ville ? Que les parents qui travaillent trop ne peuvent pas accorder à leur enfant le temps dont il a besoin ? Qu’il faut atteindre un certain niveau de vie pour avoir le droit de fonder une famille ? Que l’utilisation de la télé et d’internet et la consommation de café sont déconseillés ? Face à un tel manque de clarté, on est en droit de se demander sur base de quoi et par qui les critères à respecter seront établis.

Vers plus « d’invisibilisation »

Selon la proposition actuelle, un seul critère pouvant impacter le bien-être de l’enfant est explicitement énoncé : le fait que les parents consomment de l’alcool et/ou des drogues illégales. C’est particulièrement le cas pour la femme qui porte le futur bébé que la loi veut protéger. Les personnes qui accueillent et élèvent des enfants tout en faisant usage de psychotropes sont donc par défaut considérés comme moins aptes, sans prendre en compte aucune autre qualité ou défaut dans leur personnalité ou leur éducation. Une perception de l’autorité qui flirte avec les grands principes de l’hygiénisme (voir de l’eugénisme, si ce n’est que le terme renvoie à des pratiques et des idées d’un autre âge) : dans un environnement où le parent usager de drogue est perçu comme ayant un effet négatif sur l’enfant à naître, la suppression du problème (la consommation, ou purement et simplement les parents) le plus tôt possible entraine la disparition de l’effet dans l’optique que l’enfant soit au final de « meilleure qualité ».

Malheureusement ce genre de proposition n’est pas étonnante dans une société où la prohibition est la base de la politique drogue et en consommer est considéré comme une transgression majeure des normes sociales. Il faut néanmoins être complètement aveugle aux effets néfastes de la marginalisation des consommations de drogues pour vouloir continuer dans cette direction. Bien que l’inquiétude face au risque pour le développement du fœtus soit justifiée, l’approche répressive et menaçante ne fera que pousser les parents à « l’invisibilisation ». En effet, la stigmatisation poussera les parents consommateurs à ressentir de la honte et de la culpabilité. La peur de subir le regard désapprobateur de la société et les répercussions judiciaires auxquelles ils s’exposent en dissuadera plus d’un de parler de leur usage de drogues et les éloignera de l’accompagnement médical et psycho-social.

Les femmes particulièrement visées

Un problème encore plus fortement ancré chez les mères et les femmes enceintes qui ont peur d’être perçues comme incompétentes et irresponsables et auxquelles on retire la garde de l’enfant, comme expliqué dans notre article sur l’usage de drogues chez les femmes. Des craintes désormais renforcées ar cette proposition de loi qui appuie légalement leur stigmatisation. Menacées dans leur intégrité physique comme dans leur qualité de mère, elles seront sans doute encore plus nombreuses à éviter ou retarder le plus possible un suivi approprié ou des soins médicaux ou obstétriques pourtant cruciaux pour le bon déroulement de leur grossesse.

Au Brésil, aux États-Unis, en Irlande, au Royaume-Uni, en Italie et dans tous les autres pays où ce genre de règle existe, les exemples alarmants de leur application sont nombreux. Ainsi, dans certains de ces pays[1], une future mère peut être emmenée de force à l’hôpital pour une césarienne non consentie si un juge estime que c’est plus sûr pour l’enfant. Toujours dans ces contextes nationaux de nombreuses femmes se sont vue emprisonnées après qu’un problème ou un accident a mis fin à leur grossesse. Ces arguments ont aussi été régulièrement utilisés dans des pays comme l’Angleterre, où des cas de vols institutionnalisés d’enfants pour ensuite les faire adopter, ont été révélés[2]. Des dispositions qui, bien évidemment, affectent de manière disproportionnée les catégories sociales plus vulnérables[3].

Soutenir au lieu de punir

Il existe pourtant de bien meilleures solutions que cette loi répressive pour aider les parents et leurs futurs enfants à accéder à de meilleures conditions médicales, sociales et environnementales. À Infor-Drogues, nous estimons que la meilleure manière d’accompagner des (futurs) parents consommateurs, est de proposer un suivi complet prenant en compte le contexte dans lequel ils évoluent. Il ne faut pas oublier que chaque usage de drogues, illégales ou légales, est vécu par le consommateur comme une tentative de résolution d’un problème et/ou une réponse à un besoin. Un fait que l’arrivée d’un enfant ne saurait effacer comme par magie. Il est donc primordial d’approcher l’arrivée d’un enfant dans ce genre de situation en apportant un soutien adapté aux besoins particuliers de la famille dans son ensemble.

Dans certains services spécialisés[4], de nombreuses années de prises en charge progressistes ont montré qu’avec des méthodes adaptées et les bons outils, il est tout à fait possible pour ces parents de bien vivre l’arrivée d’un enfant sans enfreindre leurs libertés individuelles. Pour les partenaires consommant de l’alcool et des drogues, la grossesse est sans doute l’un des meilleurs moments pour mettre en place un réseau transversal de professionnels œuvrant dans la confiance et le non-jugement. Dans ce cadre il est primordial de se soucier des besoins et de respecter les choix de chacun, pas de leur imposer un changement drastique de mode de vie. Principe que parait ignorer la proposition de loi, qui choisit plutôt de voir tous les parents usagers comme un danger pour leurs (futurs) enfants.

L’inefficacité des approches basées sur l’obligation, la force et la peur est connue depuis bien longtemps. Mais comme souvent on n’hésite pas à vouloir impliquer la répression dans une problématique qui relève de la santé, et la justice pénale là où le civil est compétent. Au final, cette proposition de loi, si elle est adoptée, ne risque pas de venir en aide à grand monde, tant elle est déconnectée des réalités de terrain. Bien au contraire. Il fait par contre peu de doute qu’elle saura attirer un certain électorat. Des considérations bien futiles, quand on pense à tous ceux et celles qui risquent de subir des traitements inhumains et injustifiables et dont les droits et libertés sont une fois de plus mis en danger.

 

[1] La protection de « l’enfant à naître »: une mise sous tutelle des femmes enceintes / Marie-Hélène Lahaye,  RTBF.be, juin 2020.

[2] Les Enfants volés d’Angleterre / Film-Documentaire.fr, 2016.

[3] La Belgique avance une nouvelle proposition de loi inquiétante pour les droits des femmes / Marise Ghyselings, Moustique.be, 2020

[4] Guide concernant l’usage de substances psychoactives durant la grossesse / Anne Whittaker (vo), Nicolas Bonnet et Thomas Chihaoui (coordination scientifique vfr), RESPADD, 2013.

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Les femmes, face cachée de l’usage de drogues

Badge Les droits des femmes sont des droits humainsSi à ce jour, les hommes restent les principaux concernés par la consommation de produits psychotropes, les femmes sont tout autant concernées par les usages de drogues légales ou illégales, avec toutes les particularités que cela implique. En cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, penchons-nous sur la façon dont les rôles de genre et la pression sociale affectent les consommations féminines.

C’est un fait, hommes et femmes ne sont pas égaux face à l’usage de drogues. Pendant longtemps, les premiers ont été les principaux consommateurs, tous produits confondus. Mais ces dernières années, force est de constater que l’écart se resserre fortement pour certaines substances comme le tabac, l’alcool et le cannabis. Paradoxalement, la question de la consommation chez les femmes est autant liée à la persistance des stéréotypes et des rôles sociaux traditionnellement attribués à chacun, qu’à la progression de l’égalité des genres.

Pas très féminin

Tout d’abord, il y a ces fameux rôles genrés. Dans la société, on attend des femmes qu’elles soient délicates, prudentes, maternelles, etc. À l’inverse, la spontanéité, les prises de risques et la transgression sont communément des comportements plus valorisés chez les individus de genre masculin. Des caractéristiques qui cadrent mieux avec un usage de psychotropes. Les femmes ont donc intégré socialement que la consommation de drogues illégales, ce n’est pas très féminin et s’en sont longtemps détourné. Elles sont pourtant de plus en plus nombreuses à s’y mettre, et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, le public féminin a été particulièrement visé dans les campagnes marketing pour le tabac dans les années 50. La cigarette était alors présentée comme un symbole d’émancipation et d’élégance. Aujourd’hui pourtant les femmes sont moins nombreuses à arrêter de fumer que les hommes, car elles réagissent moins bien aux différentes actions visant à dénormaliser le tabac. Un schéma qui tend à se répéter, puisque ce sont cette fois les industriels de l’alcool qui visent particulièrement la gent féminine en leur proposant des boissons sur mesure. Car après tout, pourquoi se priver du pouvoir d’achat de la moitié des personnes sur terre ?

Néanmoins, le constat inverse peut être fait. En effet dans les pays plus avancés en matière d’égalité des sexes, la consommation des deux populations tend à converger. L’écart est aussi moins important chez les jeunes et les personnes ayant un niveau d’éducation plus élevé. Les modes de vie des femmes et des hommes s’uniformisent, leurs consommations aussi. Pour certaines, le fait d’avoir un comportement typiquement masculin, par exemple en étant capable de « boire comme un homme », est une caractéristique valorisante, même si cela conduit à une surconsommation.

Au four et au moulin

L’évolution du rôle des femmes dans la société a par ailleurs entrainé l’émergence d’un comportement qui leur est plus particulier, celui de la prise de médicaments psychotropes. Car si les femmes accèdent (doucement) à de plus en plus de postes à responsabilités, elles ne sont pas moins dispensées de leur rôle premier. Beaucoup doivent ainsi assurer des doubles journées, une au bureau et une à la maison. Un rythme difficile à tenir. En dehors des classiques alcools, cafés, cannabis, beaucoup ont donc recours à des somnifères, antidépresseurs, des benzodiazépines, médicaments à base d’opiacés et autres, qu’elles se procurent aussi bien légalement qu’illégalement, tantôt pour rester au meilleur niveau, tantôt pour arriver à se détendre. Des produits qui sont loin d’être anodins, et qui peuvent rapidement devenir indispensables au fonctionnement des usagères.

Le « succès » des médicaments auprès du public féminin tient sans doute en partie à son aspect plus propret, moins dangereux, car plus légitime médicalement. Une consommation qui peut bien souvent être légale, et pas trop mal vue, pourvu que cela permette aux femmes de continuer à entretenir le double rôle que la société continue de vouloir leur imposer. Par ailleurs, leur santé étant plus souvent abordée sous l’angle de la psychologie plutôt que de la douleur physique, elles sont plus naturellement renvoyées vers les produits qui sont classiquement attachés à la santé mentale.

Un public moins visible, donc moins protégé

Bien qu’elles constituent une part grandissante des consommateurs, les femmes restent un public particulièrement invisible dans l’information, la prévention et l’accompagnement liés à la consommation. Une absence qui peut s’expliquer par le fait qu’en plus des risques sociaux, médicaux et pénaux auxquels s’exposent la plupart de consommateurs, les femmes qui consomment des drogues illégales rompent également les normes de genre auxquelles elles sont tenues.

Ayant intégré les injonctions sociales citées plus haut, nombreuse sont celles qui ressentent de la honte ou de la culpabilité et craignent d’être mal reçues par les structures d’aide. La grossesse et la maternité semble être dans ce cas un facteur déterminant. Les usagères auront largement tendance à ne pas parler de leur consommation au docteur qui les suit pendant leur grossesse. Par la suite, c’est l’idée qu’elles soient perçues comme incompétentes et qu’on puisse leur retirer leurs enfants qui les retient. Des peurs qui peuvent s’avérer fondée, puisqu’il n’est pas rare que ces femmes subissent les mauvais traitements de certaines institutions comme la police, la justice ou même du corps médical. Des expériences qui ne les encouragent pas à briser le silence.

Cet éloignement des services de soin est pourtant lourd de conséquences : le risque de transmission d’infections sexuellement transmissibles et de grossesses non désirées peut être augmenter par certains modes de consommation, avec des effets potentiellement dramatiques sur la santé, en particulier gynécologique, des consommatrices ; En France on constate chez les femmes prises en charge par des centres d’accompagnement un risque de décès 18.5 fois supérieur à celui des autres femmes. Chez les hommes usagers le risque n’est « que » 5.6 fois plus élevé ; les causes de décès des consommatrices sont plus souvent liées à la maladie (cancer, problèmes digestifs) qu’à la toxicologie (overdose, accidents). Sur le plan social, les femmes s’exposent par ailleurs plus fréquemment à des situations de dépendances affectives ou financières d’un partenaire. Une situation précaire qui les met plus à risque de subir des violences physiques et mentales.

La consommation, comme tous les autres aspects liés au progrès de l’égalité des genres, n’est donc pas simplement l’affaire des femmes. Ces questions doivent impliquer chacun, tant sur le plan de l’éducation, que de la vie affective, que de la prévention et de l’accompagnement. En cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes, il semble plus que jamais important de plaider pour la fin des rôles de genre et des attentes qui y sont liés, ainsi que du jugement sociétal qui pèse sur les femmes et les minorités de genre en général et les usagères en particulier, afin qu’elles n’aient plus jamais peur de chercher de l’aide quand elles estiment en avoir besoin.

 

Sources

Tableau de bord de l’usage de drogues et ses conséquences sociosanitaires en Région de Bruxelles-Capitale, p.56-59/ Clémentine Stévenot et Michaël Hogge, Eurotox asbl, 2019.

Usages de drogues et conséquences : quelles spécificités féminines / François Beck, Ivana Obradovic, Christophe Palle, Anne-Claire Brisacier, Agnès Cadet-Taïrou, Cristina Díaz-Gómez, Aurélie Lermenier-Jeannet, Caroline Protais, Jean-Baptiste Richard, Stanislas Spilka. Tendances n° 117, OFDT, 2017.

Médicaments, alcool, drogues : ces femmes actives qui se dopent pour tenir / Morgane Miel, Le Figaro, 2017.

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