Les boissons énergisantes, « partenaires de blocus » ?

Une célèbre marque de boissons énergisantes s’est présentée ces dernières semaines comme « ton partenaire de blocus » dans une campagne publicitaire largement diffusée sur les réseaux sociaux. La première chose qui étonne dans ce slogan on ne peut plus explicite, c’est à quel point ces annonceurs ont fait preuve de cynisme en se saisissant de ce contexte de stress et de fatigue intenses pour vendre leur produit.

Rappelons que les boissons énergisantes contiennent presque toutes la dose maximale autorisée de caféine, c’est-à-dire 320 mg par litre. La caféine peut provoquer nervosité, maux de tête, insomnie ou encore le fait de moins ressentir la faim. Les boissons énergisantes peuvent ainsi induire une mauvaise alimentation et un système nerveux central perturbé, avec donc des impacts sur la concentration et la mémoire[1]. Pas si top pour un partenaire de blocus, non ?

Une autre question s’impose à nous : pourquoi les boissons énergisantes seraient-elles un bon partenaire de blocus ? Pourquoi cette période est-elle plus propice à la consommation de stimulants ? Les boissons énergisantes ne sont certainement pas les seuls produits-drogues[2] à « accompagner » les étudiant.e.s en cette période de stress, de fatigue, d’anxiété, etc. Entre les divers médicaments (contre le stress, calmants, somnifères), le café, voire certains produits illégaux, la liste des possibilités est longue pour celles et ceux qui cherchent à (sur)vivre cette période presque toujours compliquée. Sans même parler de la nécessité de décompresser à la fin des examens avec l’aide bien souvent d’alcool ou d’autres désinhibiteurs…

Alors, pourquoi blocus = consommation de produits-drogues, quels qu’ils soient ?

Revenons à notre chère publicité. « Tu cherches ton partenaire de blocus ? Cette boisson énergisante est là pour toi », nous dit-elle. Il y a une référence directe au besoin de résister à la fatigue intense, tant physique que mentale, provoquée par la période de blocus. Après tout, quoi de plus normal que d’avoir du mal à gérer l’énorme stress de cette période de quelques semaines qui va décider de l’avenir de son année, et peut-être même des suivantes ? Tout ça en pleine période de fêtes de fin d’année, ces moments propices aux célébrations en famille ou entre amis, ces moments de joie et de relâchement pour beaucoup. Pour les étudiants, ce sont ces moments où il faut réviser intensément pour ne pas se louper pendant les quelques heures d’examens souvent difficiles. Après tout, n’entend-t-on pas souvent dans les couloirs des universités qu’un bon prof, c’est un prof qui a un fort taux d’échec ?

Qui dit échec ou réussite scolaire dit impact sur la vie sociale, dans la vie familiale certainement, mais aussi dans les cercles amicaux avec lesquels on ne partagera peut-être plus les cours l’année prochaine. Qui dit échec ou réussite scolaire dit aussi identité, pourra-t-on exercer le métier que l’on souhaite, sera-t-on assimilé à un.e raté.e ? L’enjeu est donc énorme. Cela implique forcément d’intenses émotions à gérer comme on peut, avec les outils à la disposition de chacun.e. Selon une enquête sur les assuétudes réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante de l’ULB[3], 45,3% des étudiant.e.s déclarent avoir déjà consommé des boissons énergisantes « pour améliorer leurs performances intellectuelles ou lutter contre le sommeil ».

Les étudiant.e.s ont donc de nombreux besoins essentiels en jeu pendant le blocus. Avec un réel impact sur les relations sociales et l’identité. Comment gérer ces fortes émotions ? La pression du résultat se matérialise sur une si courte et intensive période. Ce stress est si intense qu’on peut même se demander si les examens ne jugent pas davantage la compétence à gérer ce stress que la compréhension et l’assimilation de la matière du cours. Dès lors, ne serait-ce pas une mesure de bon sens que de réduire drastiquement ce stress en mettant en place une évaluation continue ? Sans doute les examens ne sont-ils qu’un élément de plus de notre société de la performance, laquelle rime avec consommation de produits stimulants. Mais le rôle de l’école ne pourrait-il pas justement être de viser à minimiser l’inégalité des chances de chacun.e face à cette société de la performance ?

Difficile, en tout cas, d’enlever à l’école sa part de responsabilité dans le stress, l’anxiété, la fatigue, l’enjeu social, l’enjeu identitaire et donc dans la production de fortes émotions que doivent gérer les étudiant.e.s pendant le blocus. Le souci de fond semble reposer dans la manière d’évaluer. Sans une méthode d’évaluation qui impliquerait moins de stress, la consommation de produits-drogues pendant le blocus paraît quasiment inévitable. Pour le plus grand bonheur des fabricants de stimulants, qui ont compris la chose bien plus rapidement que notre système éducatif.


[1] Lire à ce sujet l’avis du Conseil Supérieur de la Santé à propos des « Boissons énergisantes » : https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/17982877/Boissons%20%C3%A9nergisantes%20%28d%C3%A9cembre%202009%29%20%28CSS%208622%29.pdf

[2] Infor Drogues & Addictions définit un produit-drogue comme toute substance, naturelle ou synthétique, qui a un effet modificateur sur le système nerveux central. Plus concrètement, un effet portant sur l’état de conscience et/ou la perception et/ou l’activité mentale. Cette définition englobe un très grand nombre de produits, légaux et illégaux, dont les boissons énergisantes ou le café. Pour en savoir plus : https://infordrogues.be/informations/produits/

[3] « Enquête sur les assuétudes » par l’OVE de l’ULB, septembre 2023, pages 29-31 : https://www.ulb.be/fr/ove/rapport-denquete-sur-les-assuetudes