Archive annuelle 8 décembre 2021

Salles de consommation à moindre risque : en finir avec les idées reçues

Ouverture d'une salle de consommation à moindre risque à BruxellesLa salle de consommation à moindre risque de Bruxelles ouvrira prochainement ses portes dans le quartier Lemonnier, au numéro 9 de la rue de Woeringen. Géré par l’asbl Transit et la MASS (Maison d’Accueil Socio Sanitaire), ce dispositif est nommé Gate en référence à son rôle de portail vers le soin. Avec l’appui de la ville de Bruxelles, cette SCMR sera la deuxième à voir le jour en Belgique, après celle de Liège en 2018.

Les salles de consommation à moindre risque sont l’objet de nombreuses idées reçues. Infor-Drogues vous propose d’en décrypter quelques-unes, à l’approche de l’ouverture de celle de Bruxelles.

 

  • Ça encourage les drogués à consommer

Les différentes études et expériences menées montrent que les salles de consommation à moindre risque n’augmentent ni le nombre de consommateurs ni la quantité consommée. En fait les consommations découlent de raisons personnelles propres à la personne et profondément ancrées dans son vécu et son contexte de vie. Les personnes consomment alors pour se sentir mieux, pour apaiser les tensions, pour faire face, pour oublier, etc. Les consommations sont causées par les problèmes de la vie.

Ce ne sont pas des mauvaises conditions matérielles qui découragent à la consommation puisqu’on voit que de nombreuses consommations sont faites dans des conditions sanitaires et matérielles très dégradées, comme on peut en rencontrer en prison ou dans la clandestinité (dans la rue, dans des parkings, dans des squats, etc.). Ces salles ne font qu’offrir un environnement correct aux consommateurs.

 

  • Ça ne sert à rien, puisqu’ils n’arrêtent pas de consommer

L’arrêt de la consommation ne doit pas toujours être un but en soi. Ne vaut-il pas mieux viser la politique du moindre risque ? En effet, le cadre illégal de la consommation crée d’énormes risques sanitaires : produits coupés, trop concentrés, conditions de consommation clandestines donc matériel et environnement pas stériles, etc.

Ces salles répondent à ce besoin de disposer d’un cadre sécurisé et sanitaire, et diminuent ainsi le risque de maladies. La présence du personnel médical permet de prendre en charge d’éventuels problèmes en cas de surdose. C’est aussi l’occasion de créer du lien et d’ouvrir une porte vers un accompagnement médical et/ou social. Un contact qui peut offrir de nouvelles perspectives

De plus, la souffrance liée à l’exclusion est un motif de consommation. Inclure les abimés de la vie que sont les usagers de drogues va donc diminuer la somme des souffrances auxquelles ils doivent déjà faire face.

 

  • Ça donne envie au grand public parce que ça banalise les drogues

Les bars et les marchands de tabacs se trouvent à tous les coins de rue. Cela ne signifie pas qu’on y entre et qu’on consomme de l’alcool et du tabac à chaque fois qu’on passe à côté. On consomme parce qu’on pense que ça répondra à notre besoin du moment. Mais aussi en fonction de l’image que nous renvoie un produit (sportif, rebelle, charmeur, etc). Et cette image, on souhaite s’y identifier. La banalisation n’est pas attirante, elle ne saurait à elle seule donner envie.

Par ailleurs, les salles de consommation à moindre risque ne sont pas un lieu accessible au tout venant. Il y a une procédure à respecter : il faut s’inscrire, il y a un accueil et un contact avec des travailleurs sociaux et des règles internes à respecter.

 

  • Les enfants/jeunes/etc qui vont passer devant vont entrer pour consommer

Les drogues et les consommateurs de drogues trainent avec eux une image fascinante et sulfureuse. Car les médias et la société les présentent comme autodestructeurs et à la recherche de leur seul plaisir. Cela entraine une curiosité malsaine qui peut donner envie de passer les portes de la salle sans être consommateur pour avoir un aperçu de ce qui s’y passe, mais pas d’y entrer pour consommer.

La consommation de drogue est souvent expliquée par la drogue elle-même. Comme si elle vous tombait dessus sans qu’on ne puisse rien faire. En fait, la drogue n’est pas une créature vivante. Elle ne peut pas, toute seule, sortir de la salle et vous attraper. C’est normal d’avoir peur de la mise en place de ce genre de dispositif. Pour se rassurer vis-à-vis de vos enfants, l’important est de dialoguer avec eux, de leur parler et d’être ouvert à leur vécu.

 

  • Ces salles servent juste à prendre de la drogue pour leur plaisir

Les salles de consommation à moindre risque ne sont pas des salles de fêtes ou des maisons des jeunes. Aucune chance de pouvoir s’y retrouver entre amis pour jouer au kicker en fumant son joint ou en buvant son coca après les cours.

Ces salles offrent un environnement propre et sécurisé pour consommer de manière plus sûre, avec du matériel propre et un encadrement social et médical avec des professionnels. Ce sont des dispositifs voués à la sécurité sanitaire et au lien avec des professionnels, mais pas des lieux qui prêtent à la sociabilisation entre pairs. Ce n’est pas « Woodstock ».

 

  • Ça attire l’insécurité/les dealers/les drogués dans le quartier

Si la consommation de drogue vise à apaiser des souffrances ou des difficultés, cela ne fait pas automatiquement des usagers des personnes dangereuses et prêtes à tout (vol, mensonge, agression, etc.). Certaines personnes recourent au vol ou au mensonge quand elles sont en difficultés, qu’elles consomment des drogues ou non. Si ces dispositifs bénéficient d’une certaine tolérance de la part des autorités et des forces de l’ordre, elles n’en sont pas moins encadrées et sécurisées, pour les consommateurs comme pour les riverains.

Si, à son ouverture, la future SCMR de Bruxelles sera très probablement la cible d’idées reçues de ce style, nous espérons participer à une salutaire prise de distance par rapport à ces suppositions. En effet, toutes ces représentations augmentent en général le mal-être des consommateurs, l’incompréhension du dispositif par le grand public et, au final, les actions inadéquates voire contre-productives.

 

ParInfor Drogues & Addictions

Le GHB, une drogue pour violer ? Allons plus loin.

Drogue GHB agressions

En tant qu’institution spécialisée dans les questions de consommation de produits psychotropes, une de nos missions principales est de fournir de l’information à ce sujet. Dans ce cadre, nous répondons régulièrement aux médias afin d’apporter au public une information plus pertinente par rapport à un discours très souvent centré sur les produits, qui se soucie bien trop peu du contexte qui les entoure. Alors que nous nous efforçons d’offrir une alternative aux idées reçues et aux traitements de surface de ces sujets, nous constatons encore trop souvent que la contextualisation que nous offrons est complètement laissée de côté.

Dernier sujet en date, les questions autour des agressions sexuelles et du GHB ne font pas exception. Ainsi, il nous semblait important de compléter le discours centré sur le produit par des précisions essentielles. Dans ce genre de situation, le problème central n’est pas le produit employé, mais bien l’agression sexuelle en elle-même. Des agressions qui n’ont pas lieu que dans des ruelles sombres ou des bars louches comme beaucoup se le représentent.

Les violences sexuelles sont présentes dans toute la société car elles sont une conséquence, certes extrême mais pas moins réelle, d’une société où les femmes et les minorités de genre restent perçues comme inférieures aux hommes. Dans trop d’endroits et de représentations, véhiculés notamment par la publicité, la femme reste un objet à leurs yeux. Cette culture s’exprime également dans les médias quand des sujets comme celui des violences sexuelles et de la drogue font la une de l’actualité. Seules les substances utilisées, comme l’alcool ou le GHB, sont mises en lumière, comme si elles étaient détachées de l’agresseur qui en profite. La légitimité des victimes est quasi systématiquement remise en cause. Le système, lui, n’est jamais remis en question. Les représentations valorisant une forme agressive de masculinité, véhiculées entre autres par les médias, contribuent à maintenir les femmes et les minorités de genre dans une position inférieure, avec des conséquences allant de l’écart salarial jusqu’au viol ou au féminicide.

Bien avant le GHB, ce qui permet les agressions dont on parle actuellement, c’est avant tout le patriarcat en tant que système et la culture du viol comme symptôme. Cela donne une société où la parole de victimes est mise en doute, où les agressions sexuelles sont excusées ou valorisées, où les agresseurs subissent rarement les conséquences de leurs actes, où les victimes n’osent que rarement porter plainte ou même parler de ce qu’iels ont vécu. Que l’agresseur soit un inconnu, un barman, un ami, un compagnon ou n’importe qui d’autre, et peu importe l’endroit, ce sont les mécanismes d’une société où les violences faites aux femmes et minorités de genre sont encore tellement ancrées qui doivent changer radicalement.

Bien sûr, une ingestion involontaire et malveillante de GHB est une expérience horrible, et encore bien plus si elle mène à subir une agression sexuelle. Jamais cela ne doit être remis en question. Cependant, les agressions sexuelles et autres situations de mise en danger se produisent qu’il y ait ou non GHB. Ces actes d’une violence extrême peuvent être commis dans un contexte de consommation de n’importe quelle drogue, légale ou illégale, ou sans aucun produit. Une personne peut subir une agression sexuelle après avoir ingéré du GHB, des somnifères, de l’alcool, des pâtisseries, de l’eau, etc. et ça ne sera jamais la faute de cette personne. Cela ne devrait même jamais se produire. Un agresseur peut passer à l’acte après avoir consommé de l’eau, de l’alcool, du thé, du cannabis, du chocolat, du GHB[1], etc. et ça sera toujours sa faute à lui.

Mais ces représentations sont encore bien trop présentes et font croire qu’il existe un « bon » type de victime, et un « bon » type d’assaillant. La faute à une culture qui fait croire aux agresseurs que les autres, les femmes en particulier, sont leur propriété, qu’ils peuvent s’en saisir et en faire ce qu’ils veulent sans se poser de questions et, dans l’immense majorité des cas[2], sans risquer aucune conséquence judiciaire ou sociale. Une culture rétrograde que certains imaginent tellement immuable que ce sont aux victimes d’organiser leurs vies pour s’y adapter. De ne pas laisser leurs verres sans surveillance, ne pas sortir seules, ne pas aller dans des bars, ne pas boire un verre, avoir peur de demander l’aide d’un employé, ne pas porter certains vêtements, ne pas oser aller voir la police, ne pas se promener dans la rue, ne pas répondre, ne pas ignorer, ne pas parler, ne pas inviter de gens chez soi, ne pas être chez soi avec un compagnon ou un ami. Ne pas vivre.

Alors ne nous y trompons pas. Créer des espaces plus sûrs, informer sur les moyens de reconnaitre une boisson altérée, apprendre à réagir quand on est témoin d’une agression ou comment aider une personne potentiellement en danger, c’est bien. Mais le problème ne sera réellement pris en charge que quand notre culture cessera enfin de considérer la femme et tout autre personne qui n’est pas un homme comme inférieures. Pour cela le système doit être changé. Un premier pas nécessaire est de faire en sorte que les victimes soient entendues et crues, et que les agresseurs subissent enfin les conséquences de leurs actes, jugés à la hauteur de leur atrocité.

 

[1] Correctement dosé et sans mélange avec l’alcool, le GHB peut avoir des effets désinhibants similaire à celui-ci. Contrairement à la façon donc il est généralement perçu, il peut être utiliser volontairement à des fins récréatives et ne provoque pas systématiquement somnolence et trous noirs.

[2] En Belgique, 75 000 faits de violences sexuelles sont commis tous les ans. Seuls 8000 de ces faits sont déclarés aux autorités et 900 aboutissent à une condamnation. En tout, seules 1,2% des violences sexuelles commises sont punies.
Source : Plainte, preuves, procès: que faire en tant que victime d’une agression sexuelle? Fanny Declercq et Laurence Wauters, Le Soir, 22 octobre 2021.

ParInfor Drogues & Addictions

À la mémoire de Micheline Roelandt

Décès Présidente RoelandtLe personnel et le conseil d’administration d’Infor-Drogues ont appris avec tristesse le décès de notre ancienne Présidente, Micheline Roelandt.

Militante infatigable, très attachée à la lutte contre toutes les formes d’exclusion, Micheline Roelandt a consacré beaucoup d’énergie et énormément d’enthousiasme au développement et à la réalisation de notre objet social. Sa vision des problématiques liées aux consommations a à jamais influencé nos modalités de travail. La défense des usagers était au cœur de son engagement. Merci à elle et sincères condoléances à tous ses proches.

ParInfor Drogues & Addictions

[TV Infor-Drogues] Entretien avec Gabrielle Vandepoortaele sur le bodybuilding

Entretien bodybuilding Gabrielle VandepoortaeleBodybuildeuses, dopage et patriarcat : l’émancipation des femmes des classes populaires à travers la performance physique.

Dans notre société moderne occidentale, les corps sont scrutés, analysés et policés sans arrêt. Pas étonnant dès lors que certains poussent cette logique le plus loin possible, en s’imposant pendant des mois et des années une discipline sportive et alimentaire extrême afin d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. Dans cette discipline masculine au possible, certaines femmes cumulent travail, charge du foyer et des dizaines d’heures de sport chaque semaine, faisant inconsciemment un pas vers l’émancipation des rôles de genres. Une chose pousse ces femmes à soumettre leur vie à cette exigence physique extrême : le besoin d’être vues, reconnues et valorisées.

Nous recevons Gabrielle Vandepoortaele, anthropologue sur les questions de genre et de dopage, et membre du laboratoire d’anthropologie prospective de l’UCL, pour explorer les mécanismes par lesquels le bodybuilding et le dopage qui peut en découler contribuent à la libération des femmes des classes populaires qui le pratiquent.

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ParInfor Drogues & Addictions

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