Archive mensuelle 14 décembre 2020

Les jeux vidéo, acteurs du lien social

Les jeux vidéo, acteurs du lien socialAlors que les jeux vidéo furent longtemps considérés comme vecteur d’isolement, de déconnexion à la réalité, d’appauvrissement intellectuel ou même de violence, de nouvelles études menées durant le confinement donnent tort à toutes ces représentations. Après quasi une année de confinements successifs et d’isolement, ces études scientifiques montrent que la pratique vidéo ludique a des effets positifs sur la santé mentale et les liens sociaux, d’autant plus en cette période où les contacts physiques et les expériences culturelles sont des plus limitées.

C’est une étude de l’université d’Oxford[1] qui confirme ce que les adeptes de jeux vidéo soupçonnaient depuis longtemps. En s’associant avec les studios de développement Electronic Arts et Nintendo, les chercheurs ont pu mettre en relation le temps de jeu réel et le bien-être ressenti par les personnes jouant à deux jeux vidéo, Plant vs Zombies et Animal Crossing. Ainsi, contrairement à une croyance bien ancrée, les résultats de cette enquête suggèrent que les personnes jouant même un grand nombre d’heures par jour déclarent éprouver plus de bien-être que celles qui ne jouent pas.

Parmi ces résultats, l’étude révèle notamment que le bien-être du joueur est influencé positivement par des qualités internes au jeu, comme l’autonomie et l’identification aux personnages, et négativement par des facteurs extérieurs, comme le fait de vouloir échapper à des problèmes ou se sentir obligé de jouer. Pourtant, c’est ici un autre de ces constats qui retient notre attention, celui selon lequel le jeu vidéo permettrait au joueur d’entretenir une forme de socialisation, en particulier en cette période de plus grand isolement.

Du lien social virtuel et pourtant bien réel

En effet, les deux jeux étudiés, bien que de style différent, comportent tous les deux une dimension sociale[2]. De nombreux jeux vidéo actuels donnent la possibilité de jouer les un.es avec les autres ou les un.es contre les autres. En cette année de confinement et de distanciation, le succès d’un jeu vidéo semble plus que jamais lié à sa capacité de créer du lien[3]. Pour les joueurs, les possibilités sont nombreuses : compétition de kart, de danse ou de tennis en famille dans le salon, Battle Royale ou conquêtes avec des joueurs en ligne dans le monde entier : l’important est de rassembler.

Dans ce même esprit, ces derniers mois ont vu s’envoler la popularité des versions virtuelles de certains jeux de société traditionnels. Même les clubs de football et les équipes cyclistes bien réelles se sont illustrés virtuellement en cette année où les rassemblements sont impossibles. En permettant de jouer aussi bien avec des inconnus qu’avec ses proches, à distance comme à la maison, les jeux vidéo actuels défient une fois de plus les idées reçues faisant des joueurs des personnes recluses et déconnectées des autres. D’après l’un des chercheurs à l’origine de l’étude d’Oxford, participer à un jeu en ligne avec d’autres personnes serait un moyen satisfaisant de garder le contact en cette période où il est impossible de se rencontrer[4]. A Infor-Drogues nous savons bien qu’il est fondamental pour nous les humains de créer, de conserver et d’entretenir nos liens avec les autres. L’isolement et la solitude sont difficilement supportables. Dans ces conditions, quand quelqu’un apparait comme dépendant de sa pratique de jeu vidéo, c’est très souvent parce que cette pratique lui sert à maintenir des liens sociaux.

Parler ensemble du jeu vidéo

Afin de favoriser le plus tôt possible le dialogue entre les joueurs et leur entourage, Infor-Drogues a développé le projet et le site J’arrête quand je veux (à partir de 10 ans). En effet, la communication est primordiale dans la façon d’aborder la gestion des jeux vidéo dans la cellule familiale. Pour cela, il est important que le parent s’intéresse à ce que fait l’enfant, que celui-ci puisse se sentir en confiance pour en parler à son tour sans craindre l’interdiction et si nécessaire de construire ensemble un encadrement de l’activité qui fasse du sens. Ne jamais perdre de vue les besoins relationnels des enfants et des adolescents est fondamental et devrait guider le regard sur leurs pratiques video ludiques.

Le fait de passer plus de temps ensemble à la maison est une occasion parfaite de partager cette activité et avoir ces conversations, d’autant que de plus en plus de parents ont eux aussi eu ou ont toujours une pratique vidéo ludique. Un fait qui, comme les études scientifiques qui commencent à voir le jour, contribuent à un nouveau regard sur les jeux vidéo. Même l’OMS, qui a pourtant alerté sur les potentiels troubles que pouvaient provoquer l’utilisation prolongée de contenus vidéos ludiques en 2018[5], a recommandé leur pratique pour inciter à rester à la maison pendant la pandémie[6].

À Infor-Drogues, nous pensons que quel que soit son rapport aux jeux vidéo, le plus important est de pouvoir mettre des mots sur son activité, ou de permettre aux plus jeunes de le faire pour leur propre pratique. Dans l’idéal, le jeu vidéo doit rester une activité parmi d’autres. En cette période, il est cependant devenu un acteur relationnel et culturel majeur avec lequel il est inévitable de composer. Un phénomène qui reviendra sans doute à un équilibre lorsque les films, pièces de théâtre, concerts, évènements sportifs et autres activités sociales feront leur retour après la crise.

 


[1]  Video game play is positively correlated with well-being / Niklas Johannes, Matti Vuorre, Andrew Przybylski, PsyArXiv (web), novembre 2020.

[2]  Video games ‘good for well-being’, says University of Oxford study / Zoe Kleinman, BBC (web), novembre 2020.

[3]  Comment le jeu vidéo crée (aussi) du lien social / Grégoire Duhourcau, Europe 1 (web), avril 2019.

[4]  Jouer aux jeux vidéo peut être bon pour la santé mentale / Belga, novembre 2020.

[5]  L’OMS entérine la reconnaissance d’un « trouble du jeu vidéo » / William Audureau, Le Monde (web), mai 2019.

[6]  Confinement – Le jeu vidéo est-il enfin devenu d’utilité publique ? / La Première (web), mai 2020.

ParInfor Drogues & Addictions

[Communiqué] – Le secteur spécialisé appelle à la légalisation du cannabis

Communiqué: Le secteur spécialisé appelle à la légalisation du cannabisCommuniqué de presse de la FEDITO BXL, le 03 décembre 2020.

Une consommation de cannabis importante et en augmentation dans la population belge

Au regard des chiffres liés au trafic et à la consommation de cannabis, la politique actuelle est un échec sur plusieurs tableaux : la disponibilité de ce produit est plus grande que jamais, à l’image du dynamisme des réseaux criminels et les taux de prévalence de la consommation de cannabis au sein de la population en augmentation depuis 10 ans.

Après l’alcool et le tabac, le cannabis est la drogue la plus consommée en Belgique. Près de 23% de la population belge âgée de 15 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis, soit plus d’1,65 million de personnes ; 7% l’ont fait au cours des 12 derniers mois et 4,3% au cours des 30 derniers jours (Health Interview Survey, Sciensano, 2018). Et si l’on regarde de plus près quelles sont les prévalences auprès des jeunes, on s’aperçoit que la consommation est encore plus importante dans ces groupes : 25% des jeunes de 15-24 ans ont déjà consommé du cannabis et plus de 38% chez les 24-34 ans.

Autant de citoyens consommateurs de cannabis, jeunes ou moins jeunes se retrouvent ainsi en contact avec ce marché noir (qui ne propose pas que du cannabis, par ailleurs) et sans que le moindre contrôle sur les produits consommés ne soit réalisés.

Un coût sanitaire et social important

La prohibition du cannabis remonte à la loi du 24 février 1921 qui, encore à ce jour, définit le cadre légal de la politique drogues en Belgique.

Non seulement cette stratégie s’avère impuissante à réduire l’offre ou la demande mais, ce faisant, elle laisse une économie parallèle perdurer et être source de violence, de corruption, de blanchiment d’argent… Du point de vue sanitaire, elle s’avère contre-productive en matière de prévention ou d’offre de soin, le tabou reste de mise. Elle est également inopérante pour limiter l’accès à ce produit (par exemple aux mineurs) et à contrôler sa qualité, alors qu’il est consommé largement au sein de la population et se trouve parfois être frelaté, comporter des résidus de pesticides, de bactéries, de champignons… autrement dit, être sanitairement impropre à la consommation. Enfin, en termes de justice sociale, elle stigmatise et pénalise aussi toute une série de populations, particulièrement celles en situation de précarité (économique, sociale,…) ou issues de l’immigration.

Cela étant, il faut reconnaître que l’État n’est pas pour autant passif : des millions d’euro d’argent public sont dépensés chaque année dans l’appareil répressif et judiciaire, la police, les services des douanes, le système pénitentiaire… mais pour quels résultats?

Des patients qui appellent à l’aide pour un usage médical du cannabis

Les professionnels du secteur drogues sont régulièrement sollicités par des patients qui cherchent à comprendre la complexe législation belge en matière de cannabis et qui sont à la recherche d’un accès à un cannabis légal à des fins thérapeutiques ou en complément du traitement qu’ils reçoivent pour diverses maladies chroniques ou d’autres pathologies.

Bien que la plupart de ces patients répondent aux critères pour accéder à ces traitements dans de nombreux pays (notamment en Allemagne, au Grand-Duché du Luxembourg, au Pays-Bas, en Italie), force est de constater que les patients belges ne sont pas logés à la même enseigne pour apaiser leur douleur ou mieux supporter les effets secondaires de leurs traitements. Pourtant, depuis 2001, la législation autorise l’usage du cannabis à des fins médicales, mais dans un cadre extrêmement restreint qui n’a pratiquement pas évolué depuis lors et qui est très loin de permettre de rencontrer les besoins et attentes de ces patients.

L’appel de ces patients ne peut plus être ignoré. C’est une question d’éthique et de liberté de traitement à laquelle le législateur se doit de donner suite. A défaut d’une filière légale qui peut leur procurer un traitement de qualité contrôlée, ces personnes malades n’ont d’autre choix, aujourd’hui encore, que de se tourner vers le marché noir ou de produire eux-même du cannabis, de manière illicite.

Propositions pour un modèle belge

Au-delà de ces constats, la FEDITO BXL asbl analyse dans son rapport différents modèles de régulation du cannabis à travers le monde et propose plusieurs clés pour envisager de sortir de ce paradigme.

Elle propose à l’État de dépénaliser l’usage de cannabis et de créer une filière légale et contrôlée de cannabis. A ses yeux, c’est la seule option réaliste pour qu’il reprenne le contrôle de la situation.

La régulation de l’alcool ou du tabac ne sont pas pour autant des exemples à suivre. Au contraire, l’asbl attire l’attention sur les risques d’un modèle trop libéral dont l’appât du gain risquerait vite de prendre le dessus sur l’impératif de santé publique qui, par ailleurs, est l’élément premier qui motive ces professionnels de la santé à soutenir la régulation du cannabis.

Une régulation dans une perspective non marchande serait une piste à explorer en priorité. Plusieurs travaux académiques menés notamment à l’Université de Gand, par le Prof. Tom Decorte, montrent l’intérêt et la faisabilité d’une régulation reposant sur des Cannabis Social Clubs. L’autoculture à des fins personnelles pourrait également être une piste à exploiter.

Enfin, il est nécessaire d’envisager d’investir davantage qu’aujourd’hui dans le domaine de la promotion de la santé, de la prévention et de la réduction des risques.

Une politique drogues efficace, en termes de santé publique et de justice sociale doit avant tout être une politique équilibrée entre les moyens alloués à la répression du trafic illégal et du blanchiment d’argent et ceux alloués à la promotion de la santé, à la prévention, à la réduction des risques et à une offre de soins adaptée, lorsque cela s’avère nécessaire.

On estime qu’actuellement entre 2% et 3% seulement des budgets en matière de drogues sont investis dans la prévention et la réduction des risques (Socost, Belspo) au profit des autres piliers de la politique drogues. Impossible dans cette situation de mener une politique efficace du point de vue de la santé publique.

Aujourd’hui, le constat de l’inefficacité de la prohibition du cannabis est sans appel, et d’autres voies doivent être explorées.

 

La rapport publié par la FEDITO BXL :

 


Contacts presse

Pour aller plus loin avec des spécialistes de la question

  • Sur l’aspect épidémiologique :
    Michaël Hogge, Chargé de projets scientifiques/épidémiologiques à Eurotox asbl (Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles)
    michael.hogge@eurotox.org / 0498 80 80 63
  • Sur les modèles de régulation et les Cannabis Social Clubs :
    Tom Decorte, Criminologue à l’Université de Gand, Faculty of Law and Criminology, Institute for Social Drug Research (ISD)
    Tom.Decorte@UGent.be / 0498 24 67 678
  • Sur la question de la prévention, de l’information et de l’aide :
    Antoine Boucher, chargé de communication  à Infor-Drogues asbl
    communication@infor-drogues.be / 0493 17 96 36 / 02 227 52 65
  • Sur la question des mineurs, de la promotion de la santé et de la formation des intervenants en milieu scolaire : Guilhem de Combrugghe, Directeur de Prospective-Jeunesse asbl
    guilhem.decrombrugghe@prospective-jeunesse.be / 0484 26 36 98
  • Sur l’aspect légal et de l’impact sur les consommateurs :
    Sarah Fautré, Coordinatrice de Liaison Antiprohibitionniste asbl
    l.a@skynet.be / 0478 99 18 97
  • Sur l’aspect légal et réglementaire :
    Christine Guillain, Professeure de droit pénal à l’Université Saint-Louis Bruxelles
    christine.guillain@usaintlouis.be
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