Chers États prohibitionnistes, vous avez du sang sur les mains
« Chers consommateurs de cocaïne, vous avez du sang sur les mains »[1], « Les consommateurs doivent savoir que notre sécurité est en danger par leur utilisation. Ils doivent vraiment se regarder dans le miroir »[2]. A entendre certaines personnalités politiques et judiciaires, les consommateur·rices de cocaïne sont les seuls et uniques responsables de l’existence et la violence des réseaux criminels auprès desquels iels se fournissent. Ce n’est pourtant pas la consommation de drogues illégales qui a fait naitre et prospérer le marché noir et ses entrepreneurs. Ceux qui ont mis en place les réseaux criminels qui produisent et distribuent la cocaïne, ce sont les États qui mettent en œuvre les politiques prohibitionnistes et la « guerre contre les drogues[3]».
Or, si les drogues – qu’elles soient légales comme le tabac ou illégales comme la cocaïne – continuent d’être consommées malgré les risques judiciaires et/ou de santé, c’est parce que ces produits remplissent pour leurs utilisateurs des fonctions essentielles. Dans le cas des utilisateur·rices de cocaïne, perçu·es comme des fêtard·es irresponsables et égoïstes[4], la ligne téléphonique d’Infor-Drogues[5], lorsqu’elle est sollicitée, découvre en réalité une consommation plutôt liée au travail. À une époque où les employeurs sont de plus en plus exigeant avec les travailleur·euses[6], certain·es recourent à ces drogues illégales pour être aussi bon·nes, voire meilleur·es, que leurs collègues, ou gérer le stress qu’impliquent des exigences de performance. Les autorités s’obstinent donc à pénaliser ceux qui tentent, certes à leur manière, de satisfaire à certaines normes très impératives de la société.
A cet égard, l’échec de la prohibition de l’alcool aux États-Unis peut servir d’exemple. Poussée par des groupes puritains, l’interdiction totale par le gouvernement américain de la fabrication, vente et consommation d’alcool a donné naissance à de multiples mafias, qui produisaient et écoulaient de l’alcool illégalement dans tout le pays et dans toutes les couches de la société. Cette politique prohibitionniste n’a fait qu’augmenter les problèmes sanitaires liés à l’alcool de mauvaise qualité et a fait exploser la corruption et la violence entre bandes rivales. Après treize longues années, le gouvernement fédéral américain a fait marche arrière, estimant plus sage d’encadrer cette consommation puisque des millions de citoyen·nes n’arrivaient pas à arrêter malgré la prohibition.
Combien de temps faudra-t-il encore avant que les États ne se rendent compte qu’ils sont les seuls à pouvoir changer le système qu’ils ont mis en place, qui engendre toujours plus de violences et fait toujours plus de victimes ?
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[1] Propos tenus par l’avocat anversois Walter Damen dans De Standaard, « Belgique. Violences liées au trafic de drogue : quelle est la part de responsabilité des consommateurs ? », 25 aout 2022.
[2] Déclaration du ministre des Finances Vincent Van Peteghem, « Décès d’une enfant lors d’une fusillade à Anvers: « Les consommateurs doivent se regarder dans le miroir », LN24, 10 janvier 2023.
[3] L’exemple d’Anvers montre bien que la « guerre à la drogue » crée de la violence puisque c’est suite au succès de l’enquête policière sur le réseau SKY ECC que la violence des trafiquants s’est déchaînée, probablement pour occuper le terrain.
[4] Idem, propos tenus par l’avocat anversois Walter Damen dans De Standaard.
[5] A la ligne d’écoute téléphonique (02 227 52 52), 506 personnes ont évoqué une consommation de cocaïne, soir dans 21% des appels. Du côté de la permanence électronique, les utilisateurs évoquent ce produit dans 31% des cas.
[6] Il suffit de penser au sort de employés de Delhaize, dont les magasins risquent de devenir franchisés, ce qui les obligerait à travailler plus tout en gagnant moins d’argent.