Alcool ou drogues au volant ? Lettre ouverte à Etienne Schouppe
Lettre ouverte à Monsieur Étienne Schouppe, Secrétaire d’État à la Mobilité, publiée dans le journal Le Soir du 11 mai 2011 :
Monsieur le Secrétaire d’État, vous organisez ce 11 mai les États-Généraux de la Sécurité Routière. Il nous a paru important de partager avec vous la perplexité qui est la nôtre par rapport au risque de discrimination véhiculé par la législation relative au dépistage des drogues au volant.
La lutte contre la discrimination est un objectif primordial de nos sociétés démocratiques. Cette lutte, le gouvernement fédéral en a fait une de ses priorités. C’est pourquoi nous nous étonnons qu’en ce qui concerne la sécurité routière, il semble que cette priorité ne soit pas de mise. En effet, comment comprendre que, selon la récente loi sur la drogue au volant mettant en œuvre les « crache-tests », les conducteurs ayant consommé de l’alcool bénéficient d’un traitement beaucoup plus favorable que les conducteurs ayant consommé d’autres psychotropes ? Il nous semble que la sécurité routière ne justifie en rien cette différence.
Cette législation, entrée en vigueur au 1er octobre 2010, prévoit que la police est chargée d’effectuer un test salivaire lorsqu’elle constate chez un conducteur des signes d’usages récents de drogues. Le test peut détecter cinq drogues différentes : cannabis, amphétamine, ecstasy, cocaïne et opiacés (morphine, héroïne). La présence du produit peut être repérée plusieurs jours après la consommation c’est-à-dire alors même qu’il ne produit plus d’effets depuis longtemps. En quoi s’agit-il d’une mesure de sécurité routière ? Que diraient les citoyens s’ils pouvaient être sanctionnés pour une consommation de bière trois jours auparavant ?
Or, Monsieur le Secrétaire d’Etat, bien que la conduite sous l’influence de l’alcool se révèle des plus dangereuses, elle est beaucoup moins sanctionnée que la conduite sous l’influence d’autres psychotropes. Ainsi, conduire avec un taux d’alcool dans le sang inférieur à 0,5 grammes est légal. A partir de ce taux et jusqu’à 0.8 g, la sanction prévue est une amende de 137,5 à 2.750 euros. Ce n’est qu’à partir de 0,8 grammes que le conducteur est passible d’une amende identique à la consommation d’autres psychotropes soit entre 1.100 et 11.000 euros. Une telle discrimination est non seulement injuste mais elle est aussi dangereuse. En effet, elle peut favoriser la consommation d’alcool alors même qu’il s’agit du produit entraînant le plus de problèmes au volant.
Vous le savez, en matière de sécurité routière, l’alcool est la principale cause d’accidents. A 0,5 grammes par litre de sang, (c’est-à-dire +/- 2,5 verres pour un homme et 1,5 verre pour une femme) le risque d’accident mortel serait multiplié par deux. A 0,8 grammes par litre de sang, le risque d’accident mortel serait quadruplé. Une consommation d’alcool, même en deçà du taux de 0,5 g/l, constitue un sur-risque d’accidents. Ce sur-risque « légal » serait même, selon une étude de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (O.F.D.T.) , supérieur au sur-risque moyen des conducteurs ayant consommé du cannabis. Cette étude tend également à démontrer que l’alcool est, de loin, plus dangereux que tous les produits repérés par les tests salivaires.
Nous ne vous demandons surtout pas, Monsieur le Secrétaire d’État, une « tolérance zéro » envers l’alcool. Comme le montre notre exemple cité plus haut, ce type de politique ne nous semble pas légitime en ce qui concerne la sécurité routière. Nous demandons par contre que la réglementation s’appuie sur des taux pertinents pour l’ensemble des produits psychotropes – en ce compris les médicaments psychotropes ( qui ne sont pas mentionnés dans cette loi et dont la dangerosité au volant n’est pas des moindres ). Qu’elle harmonise les sanctions applicables aux conducteurs sous l’influence de psychotropes, légaux comme illégaux.
Nous voudrions également attirer votre attention sur la nécessité, en matière de sécurité routière, de penser la prévention des accidents de façon plus diversifiée. Bien entendu, il est important d’informer quant aux dangers de la vitesse et de la conduite sous influence. Bien sûr, il faut sanctionner les transgressions. Mais informer et punir ne sont pas suffisants pour prévenir. A cet égard, n’est-il pas urgent de remette en question la place démesurée de la publicité pour l’alcool (bières, vins et spiritueux) ? Par ailleurs, la sécurité routière est également liée à l’expérience des conducteurs. C’est cette expérience qu’il faut promouvoir et cela dès l’apprentissage. Dans ce cadre, pourquoi ne pas offrir un stage de conduite défensive à tout nouveau détenteur de permis ?
Plus largement, n’y aurait-il pas également une réflexion à mener quant à la valorisation du risque par notre société contemporaine. Les « gagneurs » d’aujourd’hui sont ceux qui « osent » prendre des risques. Les sportifs professionnels prennent des risques inouïs avec leur santé pour réussir. La sécurité routière ne devrait-elle pas chercher à « dé-normaliser » cette apologie de l’audace et du risque ?
Monsieur le Secrétaire d’État, comme vous l’aurez compris, nous ne sommes pas partisans d’un laisser-faire généralisé où tout le monde pourrait, à sa guise, conduire comme il lui plaît, indépendamment des dangers pour autrui. En aucun cas. Nous travaillons au quotidien à la responsabilisation de chacun dans une société respectueuse des devoirs et des droits de tous. Nous sommes préoccupés de citoyenneté, de justice et d’équité. Y compris en matière de sécurité routière. Nous souhaitons que dans ce domaine, comme dans d’autres, les discriminations injustifiées cessent d’exister.
Nous ne doutons pas que vous soyez sensible à cette préoccupation.
Infor-Drogues asbl
Co-signataires : Prospective Jeunesse asbl, Addictions asbl, Centre médical Enaden asbl, Maison d’Accueil Socio-Sanitaire (MASS) de Bruxelles, Interstices – CHU St-Pierre, Univers santé asbl, DUNE asbl (Dépannage d’Urgence de Nuit et Echange), Lama asbl membre de la Fedito bruxelloise, Babel, Ambulatoire du Solbosch asbl