Violence des trafics de drogues : chronique d’une défaite policière annoncée

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Carte blanche publiée dans le journal Le Soir le 12 février 2025

La visibilité de la vente et de la consommation de drogues dans les grandes villes est aujourd’hui patente. Chaque jour ou presque la presse s’en fait l’écho : vente dans le métro, fusillades, règlements de compte, arrestations, mobilisation, impuissance, appels citoyens, armes de guerre, réactions politiques… Il n’est pas difficile de comprendre que nos responsables politiques sont dépassés et leur logiciel actuel ne peut que mettre en œuvre des actions au mieux peu efficaces, au pire contre-productives. Explications.

Tout d’abord, il semble indispensable de remettre les différents éléments du phénomène à leur juste place. Pointons que l’existence du trafic de drogues (et son agressivité à conquérir et à tenir des marchés, des lieux de vente) a deux sources principales. D’une part, l’existence de personnes désireuses de consommer ces produits pour des raisons souvent considérées comme importantes voire irrépressibles. D’autre part, l’interdiction par l’Etat de ces mêmes substances assortie de lourdes peines pénales. Ces deux éléments sont à la base du cocktail détonnant de plus en plus visible. En effet, l’interdiction n’a jamais réussi à dissuader ni les consommateurs ni les vendeurs. L’interdit suscitant plutôt la vente à des prix élevés et donc des profits que les spécialistes décrivent comme colossaux (d’autant qu’ils sont par définition exempts de toute taxation).

Tous les spécialistes des consommations de drogues le savent : au plus la précarité augmente dans la population, au plus celle-ci aura recourt à des substances psychotropes pour tenir le coup. Ainsi, dans le contexte actuel, on pense immédiatement aux hommes migrants dont une grande partie de la visibilité des consommations et des deals de rue provient probablement de ce qui est nommé « crise de l’accueil ». C’est-à-dire les décisions récentes de l’autorité fédérale belge de refus d’inscription, d’aide et surtout de logement pour ces personnes. En ce qui concerne le crack, entre 30 et 50% des usager.ères sont des personnes sans-abris[1]. Elles sont par définition plus visibles puisqu’elles logent et consomment dans l’espace public. Au vu des perspectives, Infor Drogues & Addictions craint que d’autres publics victimes d’exclusion sociale, comme des chômeurs.euses qui perdront leur allocation, ne deviennent à risque de consommation de psychotropes.

Les réponses policières à cette situation, dites de « Hot spots », ne font que créer une violence symétrique de la part des organisations criminelles. De deux choses l’une, soit la police arrive à déplacer les dealers de certaines rues, et cela risque d’augmenter la rivalité par l’arrivée de ces derniers sur le territoire d’autres, soit la police n’y arrive plus et ce sont les affrontements entre policier.es et revendeurs qui peuvent s’intensifier. Ainsi, chaque augmentation des moyens des forces de police ne fait qu’augmenter la violence globale[2]. Et cette dernière se retourne souvent vers les plus faibles : personnes qui vivent en rue, population jeune, habitant.es des quartiers populaires[3].  Tous les exemples  internationaux depuis la prohibition de l’alcool aux USA de 1920 à 1933 jusqu’à la situation au Mexique[4] montrent que les actions répressives ne mènent à aucune solution durable.  

Comment penser un autrement qui serait aussi un mieux ? Si la puissance des trafics existe grâce à deux causes, il semble logique de travailler parallèlement sur ces deux causes : le besoin de consommation d’une part et l’interdit des substances d’autre part. L’existence de la salle bruxelloise de consommation à moindres risques  Gate a montré qu’elle contribue à réduire à la fois le nombre de consommations et leur présence dans l’espace public[5]. En accueillant les personnes consommateur.trices très marginalisé.es et en ne les jugeant pas, elle parvient à (re)tisser du lien avec elles. En se décentrant des comportements illégaux, les professionnels de ce centre s’intéressent à ces personnes et à leurs vécus. Le besoin de consommer est de ce fait réduit. Même les habitants proches de la SCMR de Bruxelles ont constaté ce type de bénéfice pour leur quartier[6]. Pourquoi, dès lors, ne pas ouvrir davantage de ces salles à Bruxelles et dans les grandes villes belges ? Elles ont largement démontré leur bien-fondé[7]. Un autre type de dispositif pourrait se montrer extrêmement pertinent vis-à-vis de ces populations en leur proposant des produits psychotropes contrôlés. Cela aurait un effet bénéfique non seulement sur leur santé mais également sur le trafic. Ainsi, l’expérience liégeoise TADAM de distribution contrôlée de diacétylmorphine a démontré son effet à la fois sur la réduction de consommation en rue mais aussi sur la réduction des actes délinquants[8]. La distribution contrôlée de cocaïne commence, elle aussi, à être réfléchie, notamment en Suisse. Dans ce pays connu pour son approche pragmatique, la seule certitude est que plus on attend pour se mettre autour de la table et réfléchir, plus les problèmes augmenteront[9].

Les réponses au phénomène du trafic de drogues dans nos sociétés sont complexes et dépassent largement le cadre de cet article. Toutefois, il est certain qu’il faudra faire preuve de courage et d’imagination pour sortir de l’enchaînement symétrique des violences policières et mafieuses qui sinon entraineront des arrêts progressifs des services à la population (Bruxelles-Propreté[10], STIB[11]…).


[1] Transit asbl, MASS de Bruxelles. Gate – Salle de consommation à moindre de risque – Rapport d’activité 2022-2023.

[2] En quelques années, le nombre et la nature des armes par exemple a clairement évolué vers un niveau de puissance inédit. Ce 05 février 2025, la presse évoquant des armes de type « kalachnikov » à Anderlecht : https://www.rtbf.be/article/chasse-a-l-homme-a-bruxelles-apres-des-coups-de-feu-les-deux-suspects-ont-quitte-les-infrastructures-du-metro-la-circulation-retablie-11499473

[3] https://bruxellesdevie.com/2024/07/14/trafic-et-repression-les-habitant%C2%B7es-des-quartiers-populaires-vise%C2%B7es/

[4] Les violences liées aux cartels ont fait quelque 450 000 morts et plus de 100 000 disparus depuis 2006 au Mexique, date à laquelle le président de l’époque, Felipe Calderon (2006-2012), a lancé une offensive militaire contre le narcotrafic.

[5] Interview de B. Valkeneers, porte-parole de l’asbl Transit visible ici

[6] idem

[7] https://www.drogues.gouv.fr/levaluation-scientifique-confirme-linteret-des-salles-de-consommation-moindre-risque-scmr; https://reductiondesrisques.be/wp/wp-content/uploads/2013/03/idpc-briefing-paper-drug-consumption-rooms-fr-Eberhard-Schatz-Marie-Nougier.pdf

[8]https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/160844/18/TADAM.Communiqu%C3%A9Presse.pdf

[9] https://www.swissinfo.ch/fre/vivre-vieillir/faut-il-une-distribution-contr%C3%B4l%C3%A9e-de-coca%C3%AFne-en-suisse/81142514

[10] https://bx1.be/categories/news/rue-de-brabant-bruxelles-proprete-ne-garantit-plus-la-presence-dequipes-apres-une-nouvelle-agression/?theme=classic

[11] Cfr événement de ce 5 février au métro Clémenceau mentionné en note 2.