Archive annuelle 14 décembre 2020

Les jeux vidéo, acteurs du lien social

Les jeux vidéo, acteurs du lien socialAlors que les jeux vidéo furent longtemps considérés comme vecteur d’isolement, de déconnexion à la réalité, d’appauvrissement intellectuel ou même de violence, de nouvelles études menées durant le confinement donnent tort à toutes ces représentations. Après quasi une année de confinements successifs et d’isolement, ces études scientifiques montrent que la pratique vidéo ludique a des effets positifs sur la santé mentale et les liens sociaux, d’autant plus en cette période où les contacts physiques et les expériences culturelles sont des plus limitées.

C’est une étude de l’université d’Oxford[1] qui confirme ce que les adeptes de jeux vidéo soupçonnaient depuis longtemps. En s’associant avec les studios de développement Electronic Arts et Nintendo, les chercheurs ont pu mettre en relation le temps de jeu réel et le bien-être ressenti par les personnes jouant à deux jeux vidéo, Plant vs Zombies et Animal Crossing. Ainsi, contrairement à une croyance bien ancrée, les résultats de cette enquête suggèrent que les personnes jouant même un grand nombre d’heures par jour déclarent éprouver plus de bien-être que celles qui ne jouent pas.

Parmi ces résultats, l’étude révèle notamment que le bien-être du joueur est influencé positivement par des qualités internes au jeu, comme l’autonomie et l’identification aux personnages, et négativement par des facteurs extérieurs, comme le fait de vouloir échapper à des problèmes ou se sentir obligé de jouer. Pourtant, c’est ici un autre de ces constats qui retient notre attention, celui selon lequel le jeu vidéo permettrait au joueur d’entretenir une forme de socialisation, en particulier en cette période de plus grand isolement.

Du lien social virtuel et pourtant bien réel

En effet, les deux jeux étudiés, bien que de style différent, comportent tous les deux une dimension sociale[2]. De nombreux jeux vidéo actuels donnent la possibilité de jouer les un.es avec les autres ou les un.es contre les autres. En cette année de confinement et de distanciation, le succès d’un jeu vidéo semble plus que jamais lié à sa capacité de créer du lien[3]. Pour les joueurs, les possibilités sont nombreuses : compétition de kart, de danse ou de tennis en famille dans le salon, Battle Royale ou conquêtes avec des joueurs en ligne dans le monde entier : l’important est de rassembler.

Dans ce même esprit, ces derniers mois ont vu s’envoler la popularité des versions virtuelles de certains jeux de société traditionnels. Même les clubs de football et les équipes cyclistes bien réelles se sont illustrés virtuellement en cette année où les rassemblements sont impossibles. En permettant de jouer aussi bien avec des inconnus qu’avec ses proches, à distance comme à la maison, les jeux vidéo actuels défient une fois de plus les idées reçues faisant des joueurs des personnes recluses et déconnectées des autres. D’après l’un des chercheurs à l’origine de l’étude d’Oxford, participer à un jeu en ligne avec d’autres personnes serait un moyen satisfaisant de garder le contact en cette période où il est impossible de se rencontrer[4]. A Infor-Drogues nous savons bien qu’il est fondamental pour nous les humains de créer, de conserver et d’entretenir nos liens avec les autres. L’isolement et la solitude sont difficilement supportables. Dans ces conditions, quand quelqu’un apparait comme dépendant de sa pratique de jeu vidéo, c’est très souvent parce que cette pratique lui sert à maintenir des liens sociaux.

Parler ensemble du jeu vidéo

Afin de favoriser le plus tôt possible le dialogue entre les joueurs et leur entourage, Infor-Drogues a développé le projet et le site J’arrête quand je veux (à partir de 10 ans). En effet, la communication est primordiale dans la façon d’aborder la gestion des jeux vidéo dans la cellule familiale. Pour cela, il est important que le parent s’intéresse à ce que fait l’enfant, que celui-ci puisse se sentir en confiance pour en parler à son tour sans craindre l’interdiction et si nécessaire de construire ensemble un encadrement de l’activité qui fasse du sens. Ne jamais perdre de vue les besoins relationnels des enfants et des adolescents est fondamental et devrait guider le regard sur leurs pratiques video ludiques.

Le fait de passer plus de temps ensemble à la maison est une occasion parfaite de partager cette activité et avoir ces conversations, d’autant que de plus en plus de parents ont eux aussi eu ou ont toujours une pratique vidéo ludique. Un fait qui, comme les études scientifiques qui commencent à voir le jour, contribuent à un nouveau regard sur les jeux vidéo. Même l’OMS, qui a pourtant alerté sur les potentiels troubles que pouvaient provoquer l’utilisation prolongée de contenus vidéos ludiques en 2018[5], a recommandé leur pratique pour inciter à rester à la maison pendant la pandémie[6].

À Infor-Drogues, nous pensons que quel que soit son rapport aux jeux vidéo, le plus important est de pouvoir mettre des mots sur son activité, ou de permettre aux plus jeunes de le faire pour leur propre pratique. Dans l’idéal, le jeu vidéo doit rester une activité parmi d’autres. En cette période, il est cependant devenu un acteur relationnel et culturel majeur avec lequel il est inévitable de composer. Un phénomène qui reviendra sans doute à un équilibre lorsque les films, pièces de théâtre, concerts, évènements sportifs et autres activités sociales feront leur retour après la crise.

 


[1]  Video game play is positively correlated with well-being / Niklas Johannes, Matti Vuorre, Andrew Przybylski, PsyArXiv (web), novembre 2020.

[2]  Video games ‘good for well-being’, says University of Oxford study / Zoe Kleinman, BBC (web), novembre 2020.

[3]  Comment le jeu vidéo crée (aussi) du lien social / Grégoire Duhourcau, Europe 1 (web), avril 2019.

[4]  Jouer aux jeux vidéo peut être bon pour la santé mentale / Belga, novembre 2020.

[5]  L’OMS entérine la reconnaissance d’un « trouble du jeu vidéo » / William Audureau, Le Monde (web), mai 2019.

[6]  Confinement – Le jeu vidéo est-il enfin devenu d’utilité publique ? / La Première (web), mai 2020.

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[Communiqué] – Le secteur spécialisé appelle à la légalisation du cannabis

Communiqué: Le secteur spécialisé appelle à la légalisation du cannabisCommuniqué de presse de la FEDITO BXL, le 03 décembre 2020.

Une consommation de cannabis importante et en augmentation dans la population belge

Au regard des chiffres liés au trafic et à la consommation de cannabis, la politique actuelle est un échec sur plusieurs tableaux : la disponibilité de ce produit est plus grande que jamais, à l’image du dynamisme des réseaux criminels et les taux de prévalence de la consommation de cannabis au sein de la population en augmentation depuis 10 ans.

Après l’alcool et le tabac, le cannabis est la drogue la plus consommée en Belgique. Près de 23% de la population belge âgée de 15 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis, soit plus d’1,65 million de personnes ; 7% l’ont fait au cours des 12 derniers mois et 4,3% au cours des 30 derniers jours (Health Interview Survey, Sciensano, 2018). Et si l’on regarde de plus près quelles sont les prévalences auprès des jeunes, on s’aperçoit que la consommation est encore plus importante dans ces groupes : 25% des jeunes de 15-24 ans ont déjà consommé du cannabis et plus de 38% chez les 24-34 ans.

Autant de citoyens consommateurs de cannabis, jeunes ou moins jeunes se retrouvent ainsi en contact avec ce marché noir (qui ne propose pas que du cannabis, par ailleurs) et sans que le moindre contrôle sur les produits consommés ne soit réalisés.

Un coût sanitaire et social important

La prohibition du cannabis remonte à la loi du 24 février 1921 qui, encore à ce jour, définit le cadre légal de la politique drogues en Belgique.

Non seulement cette stratégie s’avère impuissante à réduire l’offre ou la demande mais, ce faisant, elle laisse une économie parallèle perdurer et être source de violence, de corruption, de blanchiment d’argent… Du point de vue sanitaire, elle s’avère contre-productive en matière de prévention ou d’offre de soin, le tabou reste de mise. Elle est également inopérante pour limiter l’accès à ce produit (par exemple aux mineurs) et à contrôler sa qualité, alors qu’il est consommé largement au sein de la population et se trouve parfois être frelaté, comporter des résidus de pesticides, de bactéries, de champignons… autrement dit, être sanitairement impropre à la consommation. Enfin, en termes de justice sociale, elle stigmatise et pénalise aussi toute une série de populations, particulièrement celles en situation de précarité (économique, sociale,…) ou issues de l’immigration.

Cela étant, il faut reconnaître que l’État n’est pas pour autant passif : des millions d’euro d’argent public sont dépensés chaque année dans l’appareil répressif et judiciaire, la police, les services des douanes, le système pénitentiaire… mais pour quels résultats?

Des patients qui appellent à l’aide pour un usage médical du cannabis

Les professionnels du secteur drogues sont régulièrement sollicités par des patients qui cherchent à comprendre la complexe législation belge en matière de cannabis et qui sont à la recherche d’un accès à un cannabis légal à des fins thérapeutiques ou en complément du traitement qu’ils reçoivent pour diverses maladies chroniques ou d’autres pathologies.

Bien que la plupart de ces patients répondent aux critères pour accéder à ces traitements dans de nombreux pays (notamment en Allemagne, au Grand-Duché du Luxembourg, au Pays-Bas, en Italie), force est de constater que les patients belges ne sont pas logés à la même enseigne pour apaiser leur douleur ou mieux supporter les effets secondaires de leurs traitements. Pourtant, depuis 2001, la législation autorise l’usage du cannabis à des fins médicales, mais dans un cadre extrêmement restreint qui n’a pratiquement pas évolué depuis lors et qui est très loin de permettre de rencontrer les besoins et attentes de ces patients.

L’appel de ces patients ne peut plus être ignoré. C’est une question d’éthique et de liberté de traitement à laquelle le législateur se doit de donner suite. A défaut d’une filière légale qui peut leur procurer un traitement de qualité contrôlée, ces personnes malades n’ont d’autre choix, aujourd’hui encore, que de se tourner vers le marché noir ou de produire eux-même du cannabis, de manière illicite.

Propositions pour un modèle belge

Au-delà de ces constats, la FEDITO BXL asbl analyse dans son rapport différents modèles de régulation du cannabis à travers le monde et propose plusieurs clés pour envisager de sortir de ce paradigme.

Elle propose à l’État de dépénaliser l’usage de cannabis et de créer une filière légale et contrôlée de cannabis. A ses yeux, c’est la seule option réaliste pour qu’il reprenne le contrôle de la situation.

La régulation de l’alcool ou du tabac ne sont pas pour autant des exemples à suivre. Au contraire, l’asbl attire l’attention sur les risques d’un modèle trop libéral dont l’appât du gain risquerait vite de prendre le dessus sur l’impératif de santé publique qui, par ailleurs, est l’élément premier qui motive ces professionnels de la santé à soutenir la régulation du cannabis.

Une régulation dans une perspective non marchande serait une piste à explorer en priorité. Plusieurs travaux académiques menés notamment à l’Université de Gand, par le Prof. Tom Decorte, montrent l’intérêt et la faisabilité d’une régulation reposant sur des Cannabis Social Clubs. L’autoculture à des fins personnelles pourrait également être une piste à exploiter.

Enfin, il est nécessaire d’envisager d’investir davantage qu’aujourd’hui dans le domaine de la promotion de la santé, de la prévention et de la réduction des risques.

Une politique drogues efficace, en termes de santé publique et de justice sociale doit avant tout être une politique équilibrée entre les moyens alloués à la répression du trafic illégal et du blanchiment d’argent et ceux alloués à la promotion de la santé, à la prévention, à la réduction des risques et à une offre de soins adaptée, lorsque cela s’avère nécessaire.

On estime qu’actuellement entre 2% et 3% seulement des budgets en matière de drogues sont investis dans la prévention et la réduction des risques (Socost, Belspo) au profit des autres piliers de la politique drogues. Impossible dans cette situation de mener une politique efficace du point de vue de la santé publique.

Aujourd’hui, le constat de l’inefficacité de la prohibition du cannabis est sans appel, et d’autres voies doivent être explorées.

 

La rapport publié par la FEDITO BXL :

 


Contacts presse

Pour aller plus loin avec des spécialistes de la question

  • Sur l’aspect épidémiologique :
    Michaël Hogge, Chargé de projets scientifiques/épidémiologiques à Eurotox asbl (Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles)
    michael.hogge@eurotox.org / 0498 80 80 63
  • Sur les modèles de régulation et les Cannabis Social Clubs :
    Tom Decorte, Criminologue à l’Université de Gand, Faculty of Law and Criminology, Institute for Social Drug Research (ISD)
    Tom.Decorte@UGent.be / 0498 24 67 678
  • Sur la question de la prévention, de l’information et de l’aide :
    Antoine Boucher, chargé de communication  à Infor-Drogues asbl
    communication@infor-drogues.be / 0493 17 96 36 / 02 227 52 65
  • Sur la question des mineurs, de la promotion de la santé et de la formation des intervenants en milieu scolaire : Guilhem de Combrugghe, Directeur de Prospective-Jeunesse asbl
    guilhem.decrombrugghe@prospective-jeunesse.be / 0484 26 36 98
  • Sur l’aspect légal et de l’impact sur les consommateurs :
    Sarah Fautré, Coordinatrice de Liaison Antiprohibitionniste asbl
    l.a@skynet.be / 0478 99 18 97
  • Sur l’aspect légal et réglementaire :
    Christine Guillain, Professeure de droit pénal à l’Université Saint-Louis Bruxelles
    christine.guillain@usaintlouis.be
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[Communiqué] – « J’arrête quand je veux !» : Réédition pour un sujet plus que jamais d’actualité

Communiqué: réédition du roman J'arrête quand je veux! - Couverture 2020Dix ans après sa première parution, le roman « J’arrête quand je veux ! », fruit d’une collaboration entre l’auteur liégeois Nicolas Ancion et Infor-Drogues, s’apprête à faire sa rentrée avec un nouveau look. Axé sur la gestion des jeux vidéo, le roman jeunesse s’accompagne d’un projet éducatif qui permet depuis de nombreuses années d’introduire les 10-12 ans au concept de dépendance au virtuel. Une nouvelle vie pour un sujet des plus actuels, en pleine rentrée des classes post-confinement.

Avec le confinement et la fermeture des écoles pendant de long mois, les jeux vidéo ont sans doute pris une plus grande place que d’habitude dans la vie des plus jeunes. Un changement de rythme et de comportement qui a pu inquiéter certains parents, ne sachant souvent pas trop comment aborder le sujet avec leurs enfants. Alors que ces derniers reprennent le chemin de l’école, difficile de trouver un meilleur moment que ce mois de septembre pour sortir la réédition de « J’arrête quand je veux ! ». Fort de 9000 exemplaires écoulés en grande partie dans les écoles, ce livre a depuis longtemps fait ses preuves auprès des élèves de fin de primaire et du premier degré du secondaire.

« J’arrête quand je veux ! » associe avec habilité littérature jeunesse et la vision de l’ASBL à partir d’un sujet pourtant complexe. Plus qu’un roman, c’est tout un projet éducatif qui a été mis en place autour de l’histoire de Théo, passionné de jeux vidéo, qu’il pratique avec un excès qui pourrait le mener à un décrochage scolaire. Cet ouvrage de prévention permet de parler d’assuétude à partir d’un sujet que les enfants connaissent et comprennent, ce qui n’est pas le cas pour les drogues licites ou illicites. Un processus de réflexion que les élèves pourront plus tard transposer aux autres produits.

« J’arrête quand je veux ! » est un roman publié dans la collection Zone J des éditions Mijade, spécialisée dans la littérature jeunesse. L’ouvrage est accompagné d’un site internet et d’une brochure proposant de nombreuses pistes de réflexions et activités à réaliser en classe ou à la maison sur base de différentes parties du livre. Originaire de Liège, Nicolas Ancion est un auteur pluridisciplinaire de romans, nouvelles, poésies, feuilletons web, théâtre et radio, et bien d’autres supports. Très impliqué, il se rend régulièrement dans des écoles pour participer à des activités autour de ses livres. Infor-Drogues est une association d’aide, d’accueil et d’écoute axée sur l’information, la prévention et la réduction des risques liés aux drogues. Au travers de ses formations auprès des enseignants, l’équipe de prévention développe régulièrement les pistes et les thèmes abordés dans « J’arrête quand je veux ! ».

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Proposition de loi sur la protection prénatale : un incroyable retour en arrière

Protection prénatale - GrossesseUne proposition de loi portant sur le bien-être des enfants à naître a récemment été déposée au Parlement fédéral par Valérie Van Peel (N-VA) et John Crombez (SP.a). Dans les grandes lignes, son objectif est de protéger le fœtus des effets de la consommation de drogues de la part de la femme enceinte. L’intention semblerait bonne si elle n’était pas basée sur le fait d’imposer des décisions aux parents si on estime que leur comportement est dangereux pour l’enfant. Une fois encore, ce sont les consommateurs de drogues, légales et illégales, qui sont directement visés, renforçant encore un peu plus la marginalisation et la stigmatisation que leur usage subit déjà. Une proposition paternaliste et régressive qui pourrait avoir des conséquences néfastes aussi bien sur ceux que l’autorité veut contrôler, que sur ceux qu’elle vise à protéger.

Mise sous tutelle, enfermement, sevrage imposé et césariennes forcées, voilà le sort qui pourrait être réservé à ceux et celles qui, selon la justice, ne mettent pas au premier plan l’intérêt de leur futur enfant. Une notion particulièrement vague, puisque l’intérêt de l’enfant n’a été clairement défini nulle part dans cette proposition. Qu’est-ce qui empêcherait donc de dire que le mieux pour un bébé est de grandir dans une maison quatre façades et pas en ville ? Que les parents qui travaillent trop ne peuvent pas accorder à leur enfant le temps dont il a besoin ? Qu’il faut atteindre un certain niveau de vie pour avoir le droit de fonder une famille ? Que l’utilisation de la télé et d’internet et la consommation de café sont déconseillés ? Face à un tel manque de clarté, on est en droit de se demander sur base de quoi et par qui les critères à respecter seront établis.

Vers plus « d’invisibilisation »

Selon la proposition actuelle, un seul critère pouvant impacter le bien-être de l’enfant est explicitement énoncé : le fait que les parents consomment de l’alcool et/ou des drogues illégales. C’est particulièrement le cas pour la femme qui porte le futur bébé que la loi veut protéger. Les personnes qui accueillent et élèvent des enfants tout en faisant usage de psychotropes sont donc par défaut considérés comme moins aptes, sans prendre en compte aucune autre qualité ou défaut dans leur personnalité ou leur éducation. Une perception de l’autorité qui flirte avec les grands principes de l’hygiénisme (voir de l’eugénisme, si ce n’est que le terme renvoie à des pratiques et des idées d’un autre âge) : dans un environnement où le parent usager de drogue est perçu comme ayant un effet négatif sur l’enfant à naître, la suppression du problème (la consommation, ou purement et simplement les parents) le plus tôt possible entraine la disparition de l’effet dans l’optique que l’enfant soit au final de « meilleure qualité ».

Malheureusement ce genre de proposition n’est pas étonnante dans une société où la prohibition est la base de la politique drogue et en consommer est considéré comme une transgression majeure des normes sociales. Il faut néanmoins être complètement aveugle aux effets néfastes de la marginalisation des consommations de drogues pour vouloir continuer dans cette direction. Bien que l’inquiétude face au risque pour le développement du fœtus soit justifiée, l’approche répressive et menaçante ne fera que pousser les parents à « l’invisibilisation ». En effet, la stigmatisation poussera les parents consommateurs à ressentir de la honte et de la culpabilité. La peur de subir le regard désapprobateur de la société et les répercussions judiciaires auxquelles ils s’exposent en dissuadera plus d’un de parler de leur usage de drogues et les éloignera de l’accompagnement médical et psycho-social.

Les femmes particulièrement visées

Un problème encore plus fortement ancré chez les mères et les femmes enceintes qui ont peur d’être perçues comme incompétentes et irresponsables et auxquelles on retire la garde de l’enfant, comme expliqué dans notre article sur l’usage de drogues chez les femmes. Des craintes désormais renforcées ar cette proposition de loi qui appuie légalement leur stigmatisation. Menacées dans leur intégrité physique comme dans leur qualité de mère, elles seront sans doute encore plus nombreuses à éviter ou retarder le plus possible un suivi approprié ou des soins médicaux ou obstétriques pourtant cruciaux pour le bon déroulement de leur grossesse.

Au Brésil, aux États-Unis, en Irlande, au Royaume-Uni, en Italie et dans tous les autres pays où ce genre de règle existe, les exemples alarmants de leur application sont nombreux. Ainsi, dans certains de ces pays[1], une future mère peut être emmenée de force à l’hôpital pour une césarienne non consentie si un juge estime que c’est plus sûr pour l’enfant. Toujours dans ces contextes nationaux de nombreuses femmes se sont vue emprisonnées après qu’un problème ou un accident a mis fin à leur grossesse. Ces arguments ont aussi été régulièrement utilisés dans des pays comme l’Angleterre, où des cas de vols institutionnalisés d’enfants pour ensuite les faire adopter, ont été révélés[2]. Des dispositions qui, bien évidemment, affectent de manière disproportionnée les catégories sociales plus vulnérables[3].

Soutenir au lieu de punir

Il existe pourtant de bien meilleures solutions que cette loi répressive pour aider les parents et leurs futurs enfants à accéder à de meilleures conditions médicales, sociales et environnementales. À Infor-Drogues, nous estimons que la meilleure manière d’accompagner des (futurs) parents consommateurs, est de proposer un suivi complet prenant en compte le contexte dans lequel ils évoluent. Il ne faut pas oublier que chaque usage de drogues, illégales ou légales, est vécu par le consommateur comme une tentative de résolution d’un problème et/ou une réponse à un besoin. Un fait que l’arrivée d’un enfant ne saurait effacer comme par magie. Il est donc primordial d’approcher l’arrivée d’un enfant dans ce genre de situation en apportant un soutien adapté aux besoins particuliers de la famille dans son ensemble.

Dans certains services spécialisés[4], de nombreuses années de prises en charge progressistes ont montré qu’avec des méthodes adaptées et les bons outils, il est tout à fait possible pour ces parents de bien vivre l’arrivée d’un enfant sans enfreindre leurs libertés individuelles. Pour les partenaires consommant de l’alcool et des drogues, la grossesse est sans doute l’un des meilleurs moments pour mettre en place un réseau transversal de professionnels œuvrant dans la confiance et le non-jugement. Dans ce cadre il est primordial de se soucier des besoins et de respecter les choix de chacun, pas de leur imposer un changement drastique de mode de vie. Principe que parait ignorer la proposition de loi, qui choisit plutôt de voir tous les parents usagers comme un danger pour leurs (futurs) enfants.

L’inefficacité des approches basées sur l’obligation, la force et la peur est connue depuis bien longtemps. Mais comme souvent on n’hésite pas à vouloir impliquer la répression dans une problématique qui relève de la santé, et la justice pénale là où le civil est compétent. Au final, cette proposition de loi, si elle est adoptée, ne risque pas de venir en aide à grand monde, tant elle est déconnectée des réalités de terrain. Bien au contraire. Il fait par contre peu de doute qu’elle saura attirer un certain électorat. Des considérations bien futiles, quand on pense à tous ceux et celles qui risquent de subir des traitements inhumains et injustifiables et dont les droits et libertés sont une fois de plus mis en danger.

 

[1] La protection de « l’enfant à naître »: une mise sous tutelle des femmes enceintes / Marie-Hélène Lahaye,  RTBF.be, juin 2020.

[2] Les Enfants volés d’Angleterre / Film-Documentaire.fr, 2016.

[3] La Belgique avance une nouvelle proposition de loi inquiétante pour les droits des femmes / Marise Ghyselings, Moustique.be, 2020

[4] Guide concernant l’usage de substances psychoactives durant la grossesse / Anne Whittaker (vo), Nicolas Bonnet et Thomas Chihaoui (coordination scientifique vfr), RESPADD, 2013.

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Ce que le confinement nous dit des consommations de drogues

Le 15 mars dernierConfinement et consommations de drogues nous entrions dans une ère inédite, celle du confinement. La privation soudaine des liens sociaux que sont la famille, les amis, le travail et les loisirs allait-elle modifier les habitudes de consommations de drogues légales et illégales ?  Et si oui, de quelle manière ? Les premières observations disponibles concernant l’influence de ces changements sur les usages permettent d’émettre plusieurs constats.

Le contexte, c’est la clé

Alors qu’une hausse massive de la consommation d’alcool était attendue[1], les premiers résultats d’une étude menée par l’UCLouvain sont plus mesurés. Parmi les répondants, seule une personne sur quatre déclare boire plus d’alcool qu’avant le confinement (25%)[2]. Ils sont légèrement plus nombreux (29%) à avoir diminué leur consommation, et 46% disent n’avoir rien changé à leurs habitudes. Mais l’observation la plus frappante selon les responsables de l’enquête, c’est que ce qui influence plus fortement le fait de consommer c’est le contexte. Pour nous à Infor-Drogues, c’est loin d’être une surprise.

En effet, ce qui est pour nous déterminant, c’est le lien entre contexte de vie et motivations à consommer. Les motivations sont créées par ce contexte. Les nouvelles circonstances avec lesquelles nous vivons depuis le début du confinement en sont l’illustration parfaite. Les choses ont changé à une vitesse folle. Quasiment du jour au lendemain, toutes nos habitudes se sont vues bouleversées. Ces modifications et leur impact sont donc pour une fois clairement observables et mettent plus que jamais en avant l’influence directe du contexte sur la consommation des personnes.

Ainsi, toujours selon l’étude de l’UCLouvain, les motivations mises en lien avec une augmentation de la consommation sont principalement dues à des sentiments comme le stress et l’anxiété, qui peuvent être liés à la peur de la maladie ou l’incertitude professionnelle, mais aussi la perte de liens sociaux. Un isolement dont nous constatons nous aussi les effets puisqu’il est devenu un des sujets les plus évoqués dans nos écoutes téléphoniques. Plus qu’aborder la consommation elle-même, le dialogue permet alors de rompre la solitude et retrouver une certaine forme de lien social.

Mais ce changement de contexte dans les relations et les activités peut aussi avoir pour effet une diminution de la consommation. C’est par exemple vrai pour les étudiants qui, n’ayant plus la possibilité de faire la fête comme avant, se retrouvent à boire moins d’alcool que d’habitude[3]. Un constat qui est fait pour tous les usages qui s’effectuaient dans un contexte social ou festif, c’est-à-dire motivé par le contact avec d’autres personnes, qu’il s’agisse de famille, d’amis ou d’autres rassemblements plus larges. En l’absence de motivations à consommer pour être bien ensemble, l’usage diminue. Une logique qui s’applique à plusieurs substances, aussi bien légales qu’illégales puisque, toujours selon l’enquête de l’UCLouvain, la consommation de cigarettes, de cocaïne et de cannabis est également en diminution.

Outre la diminution des liens sociaux, cette période d’isolation a aussi un lourd impact sur les finances de nombreuses personnes. Un effet que nous percevons particulièrement chez les personnes qui nous contactent pour parler d’assuétude. Alors que certains de nos bénéficiaires présentent déjà un profil socialement et économiquement vulnérable, ils doivent désormais faire face à la diminution ou la disparition de leurs revenus ou revenus de substitutions, la perte de leurs droits sociaux, la difficulté d’accès à certains services d’accompagnement social ou de soins, au surendettement, et à bien d’autres difficultés apportées par la crise sanitaire actuelle. Un grand changement dans leur contexte financier de vie qui influence inévitablement leur motivation à consommer.

Confinement et sevrage, entre opportunité et angoisse

Notre service d’écoute téléphonique constate également une augmentation dans le nombre de contacts en lien avec le sevrage. Si nous insistons fortement sur le caractère unique de chaque appel et situation, nous pouvons néanmoins distinguer deux types de diminution ou d’arrêt. D’une part, le sevrage volontaire, qui peut même avoir été décidé avant la situation qu’on connait aujourd’hui. Cette dernière est alors parfois perçue comme une bonne occasion de mettre son usage en pause.

D’autre part, le sevrage involontaire, dont on peut observer plusieurs origines comme un accès moins facile aux produits ou l’augmentation des prix. D’un autre côté, les restrictions d’accès aux structures d’aides ou aux produits de substitution constituent une véritable difficulté. Une situation d’autant plus compliquée en ce moment, comme l’explique l’association Eurotox dans son guide de réductions des risques liés à la consommation et au Covid-19.

Que votre consommation ou celle d’un proche ait changé ou non dans cette période inédite que nous vivons, Infor-Drogues reste plus que jamais à votre écoute. N’hésitez donc pas à nous contacter pour toutes vos questions par téléphone au 02 227 52 52 du lundi au mercredi de 9h à 21h, le jeudi de 13h à 21h, le vendredi de 9 à 17h et le samedi de 10h à 14h, ou via notre e-permanence.

 

[1] Coronavirus en Belgique : le confinement risque de pousser à la consommation d’alcool / Thomas de Brouckère, Le Soir, mars 2020.

[2] Consommation d’alcool stable, voire en baisse / UCLouvain, avril 2020.

[3] Le confinement n’a pas fait de nous des alcooliques / A.F., C.D., Le Soir, avril 2020.

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